Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/344

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

disaient-ils, mais l’indépendance absolue ; en prenant le nom de gothique, ils se disaient fils de leurs ancêtres les Goths, et arboraient hardiment la bannière Scandinave. Leur enthousiasme s’allumait devant les monumens de la vieille langue, qu’on saisissait enfin dans leur grandeur religieuse ou héroïque. Les fragmens abrupts de l’Edda, les antiques sagas islandaises, sortant de ce long oubli, les étonnèrent comme les tronçons cyclopéens d’un temple de Thor ou de Baldour. Si informes qu’ils fussent, on retrouvait là l’esprit de la race. Certes, en rentrant dans le vieux monde Scandinave, les poètes du nord durent éprouver l’âpre frisson de volupté des Northmans qui, revenant des mers chaudes, sentaient de nouveau les tempêtes du pôle soulever la proue de leurs navires. Geyer se plongea dans l’étude des antiquités nordiques, et donna à la Suède sa première histoire sérieuse. Dans ses ballades, comme le Wiking, il chantait des héros nationaux, et y joignait lui-même des mélodies qui sont encore aujourd’hui dans la bouche du peuple. Les vieilles chansons populaires suédoises qu’il recueillit avec Afzelius eurent pour la Suède la même importance que le recueil d’Arnim et de Brentano pour l’Allemagne. Bref, cet historien, poète et musicien fut un scalde moderne. Il eut de ses ancêtres la rudesse farouche, mais aussi le sérieux et la sombre fidélité aux dieux de sa race.

Si Geyer fut l’initiateur de cette école, Tegner en devint le héros par sa Frithiofsaga. Ce poème est peut-être le seul dans la moderne littérature du nord qui soit parvenu à une renommée européenne. Il le mérite, quoique ce récit, renouvelé d’une tradition islandaise, ait revêtu çà et là des couleurs un peu trop chrétiennes, et qu’on soupçonne à la fin dans l’auteur un évêque protestant. Cela n’empêche pas que cette épopée maritime ne soit d’une fraîcheur merveilleuse. Certaines scènes, — les adieux de Frithiof et d’Ingeborg, — sont entachées de sentimentalisme moderne ; mais d’autres sont pleines de force et d’entrain, comme celle où le héros fait élire le jeune fils du roi Ring, dans l’assemblée des guerriers, en élevant sur son bouclier l’enfant aux cheveux d’or, « fier et tranquille sur l’acier luisant comme un jeune aigle qui regarde le soleil. » Ce poème, qui fut salué avec joie par le vieux Goethe en 1824, a fait époque dans la littérature du nord. — La poésie suédoise était devenue majeure, indépendante, originale, et par cet élan spontané elle se rapprochait plus de sa sœur allemande que par une imitation servile. Tegner célébra en beaux vers cette union idéale entre les deux nations se reconnaissant l’une dans le génie de l’autre.

« Elles se cherchent, les deux sœurs germaniques ; — entre leurs