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mais, comme dans les symphonies de Gade, on y retrouve quelque chose de l’aspect uniforme du pays ; à la longue, elle rappelle la monotonie des forêts de hêtres du Seeland, ou la ligne horizontale des sombres sapinières qui couronnent les baies de la Baltique, et qu’interrompt çà et là la fumée grêle d’un toit de chaume.

Les Suédois, qu’on a nommés avec quelque justesse les Français du nord, ont en somme plus de feu dans le tempérament, plus d’élan dans le caractère. Il suffit de regarder leurs rois. Sans parler de ces chefs féroces à demi fabuleux des temps barbares, insatiables, gigantesques dans la guerre et l’orgie, des Ynglings et des Skioldungs, dont les plus illustres, selon les sagas, se nourrissaient dans leur enfance du cœur des loups, et, devenus vieux, se noyaient parfois dans des cuves d’hydromel, qu’on regarde seulement des figures comme Gustave Wasa ou Charles XII. — Le premier, fugitif, proscrit, sa tête mise à prix, se présente aux montagnards de Dalécarlie, se nomme, les harangue, les soulève et chasse Christian II ; le second attaque trois pays à la fois, et se lance aussi témérairement contre la Russie qu’un faucon contre un vautour. Ce caractère généreux et vif s’accentue dans l’histoire littéraire de ce pays, qui a toujours été le cœur et le centre du monde Scandinave. Les partis y sont plus tranchés, les luttes plus ardentes. On sait que dès le XVIe siècle la Suède subit fortement l’influence française. La reine Christine écrivait à Scudéri pour qu’il lui dédiât son Alaric et envoyait une chaîne d’or à Balzac, c’est tout dire. Autour d’elle, on imitait Ronsard. Jusque vers la fin du siècle dernier, Boileau régna sans conteste sur le Parnasse suédois. Gustave III fonda une académie sur le modèle de celle de Paris, et dans son petit Trianon, au nord de Stockholm, écrivait des comédies à la Destouches. Cette littérature élégante ne pénétrait point au-delà de la cour ; on n’invente pas un siècle littéraire avec la règle des trois unités, l’alexandrin et le genre didactique. Cependant les Suédois doivent beaucoup à la France et ne l’ont pas oublié. C’est en l’admirant qu’ils en vinrent à aimer les choses de l’esprit. La réaction ne tarda pas à éclater, et avec elle l’originalité.

Les phosphoristes, ainsi nommés d’après leur journal Phosphorus, furent les avant-coureurs du grand mouvement. Leurs chefs, Atterbom et Franzen, s’attaquèrent par l’exemple et la critique à l’école française, qui adressait encore ses madrigaux à Chloris. Eux-mêmes imitaient KIopstock ou s’inspiraient de Schelling. Chose étrange, la littérature suédoise était devenue tellement française qu’il lui fallut passer par l’Allemagne pour redevenir elle-même. La vraie renaissance date de la ligue gothique (Gölhiska Förbundet), dont Geyer et Tegner furent les chefs. Plus de modèles français ou allemands,