mot : la force créatrice du XVIe siècle s’est allumée à la renaissance de l’antiquité, celle du nôtre éclate surtout dans le réveil du génie des races.
C’est à ce point de vue, je l’appellerais volontiers le point de vue cosmopolite, que l’histoire des littératures européennes me paraît surtout attrayante. Ce n’est plus seulement une série d’épisodes détachés, c’est plutôt une longue épopée, où les événemens s’engendrent les uns les autres. Alors tout s’éclaire d’un jour plus vif et l’horizon s’élargit, les nations se groupent en latines, germaniques et slaves, et le mouvement qui part des centres vitaux se communique de proche en proche aux extrémités. Le moment de raconter cette histoire dans son ensemble n’est point venu ; notre tâche est bien plus facile. Ce que nous nous proposons est tout simplement une excursion en Norvège, auprès d’un poète de modeste apparence, mais d’une forte physionomie, et qui a le mérite d’être un type national. Nous tenions tout d’abord à fixer le point de vue qui nous guidera ; dans ce genre d’études, le plus libre et le plus dégagé est aussi le plus fécond.
Jusqu’à nos jours, les peuples Scandinaves n’ont guère paru qu’au second rang dans l’histoire politique et intellectuelle de l’Europe. Une seule fois, sous l’héroïque Gustave-Adolphe, la Suède joue le premier rôle sur le théâtre européen. Le roi de neige, comme on l’appelait ironiquement à Vienne, jette sa lourde épée au beau milieu de l’Allemagne, et tombe sur un champ de bataille à l’apogée de sa gloire ; mais cela suffit pour faire triompher la réforme. Après cet exploit, la Suède rentre dans son repos. Les trois royaumes du nord eurent des savans de premier ordre, comme Linnée, des artistes hors ligne, comme Thorwaldsen, une littérature originale ; mais ils n’ont pas produit une de ces révolutions qui s’imposent à une époque, et sans lesquelles nous ne serions pas ce que nous sommes. L’isolement auquel les condamne leur position géographique, les rigueurs du climat septentrional, une certaine lenteur d’esprit innée, expliquent ce rôle moins apparent. La race nordique, qui ne manque pas de profondeur, ne semble douée ni des hautes facultés philosophiques de l’Allemand ni de l’éloquente initiative du Français, moins encore de l’intelligence facile, du riche tempérament italien ; mais, outre qu’elle n’a pas dit son dernier mot, elle vaut par d’autres qualités, et ce qui frappe surtout, c’est que les traits primitifs du Germain sont mieux conservés en elle qu’en Allemagne, où ils tendent à s’effacer sous la culture générale. Ce