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russe d’ennui, si j’étais privée de votre conversation. Je l’ai acceptée pour ne pas vous désespérer, mais je vous ai dit que j’en venais chercher une meilleure. Donc allez-vous-en voir le cirque de Revins ou les Dames de Meuse, et revenez me prendre ici dans deux heures.

Le petit jeune homme salua, remonta à cheval et disparut avec l’aisance d’un esclave rompu aux caprices d’aune reine.

Je ne fis pas de réflexion à Mlle d’Ortosa sur cet incident, qui n’était nullement de mon goût. Je lui devais l’hospitalité de nos Ardennes françaises, et je l’invitai à la collation d’œufs frais, de laitage et de pain bis que l’on nous servait avec des soins de propreté fort appétissans. Elle s’écria que c’était charmant, mais qu’elle trouvait l’idylle un peu fade, et qu’elle avait pris ses précautions. Elle appela son domestique et lui fit tirer d’une valise de fer-blanc, qu’il avait portée en croupe, une bouteille de stout, un saucisson, deux perdrix froides et une fiole de café noir. Puis elle s’écria : — Et le morceau de glace ! Ah ! c’est ce benêt de prince qui s’en était chargé. Il s’est plaint de ce que la boîte lui gelait les reins, et il l’emporte ! Quel écervelé ! Courez après lui, attrapez-le, il nous faut absolument de la glace !

Le domestique courut et rapporta la caisse de métal où était la glace. Mlle d’Ortosa mangea et but comme un homme. C’était une femme très grande, assez mince, mais fortement constituée, et qui, menant la vie d’un garçon, avait une santé de fer et l’appétit d’un chasseur.

Comme je lui en faisais mon compliment : — On a la santé que l’on veut avoir, répondit-elle ; il ne s’agit que de savoir approprier son régime à son organisation. Je vois que vous êtes sobre. C’est bien vu, puisque vous avez une vie tranquille et réglée. Vous ne dépensez pas vos forces, vous n’avez pas besoin de combattre pour les empêcher de se perdre. Vous en aurez toujours assez pour ce que vous comptez en faire. Moi, c’est autre chose. Je vous ai promis de vous parler de moi, je suis venue pour cela. Je vais m’exécuter.

Elle alluma un cigare. — Je ne vous demande pas la permission, dit-elle ; je sais que votre père fume beaucoup et que cela n’incommode ni vous ni votre sœur. — Puis elle s’étendit sur son waterproof, dans une attitude fort gracieuse qui découvrait son pied espagnol mignon et cambré dans sa botte fine et souple. Elle ôta son chapeau et répandit sur ses épaules sa riche chevelure d’or rouge. Son œil pâle, qu’un cercle noir artificiel faisait paraître énorme, prit la fixité d’un œil félin, et, sûre de sa beauté bien arrangée, elle parla ainsi :