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faut pas davantage à un homme pour rentrer ensuite au pays natal, où sans argent nul n’est prophète, avec des allures et un train de Monte-Cristo. Monte-Cristo fait du reste un grand usage de ses trésors transatlantiques : il pensionne généreusement et fort à propos le fils d’un de ses anciens amis, ce même étudiant dont nous avons parlé ; il sauve du même coup la femme adultère et sa fille, et, quant au traqueur maladroit, il l’envoie à son tour en Amérique chercher des millions ou se faire pendre. Voilà le roman. Il est de ceux dont l’analyse est en même temps la critique. Soyons juste toutefois : en dehors de cet imbroglio sans mesure il y a quelques parties qui sont meilleures et plus vraies : c’est entre autres un certain récit de luttes électorales où les concurrens et leurs menées sont peints sous des couleurs assez, nettes et avec un relief assez heureux ; mais un simple épisode bien traité n’assure pas, on en conviendra, le mérite d’une œuvre d’imagination.

Dans Un fils d’Ève de M. F. Génissieu, nous trouvons une autre variété de la femme adultère, ou, pour employer un euphémisme de bon goût, de la femme qui cherche et trouve en dehors de son ménage un cœur où le sien se puisse épancher. Il s’agit encore ici d’un amant qui ne serait pas fâché d’épouser la fille de celle qu’il a détournée de ses devoirs conjugaux. ; mais cette fois la poursuite n’a rien de prémédité et ne procède pas de calculs odieux d’intérêt. Le fils d’Eve ; — et, à propos, d’où vient ce titre dont on a peine à saisir le sens ? — le fils d’Eve, après avoir séduit, par passe-temps, l’épouse livrée, au fond d’une campagne, à tous les rêves énervans de la solitude, s’aperçoit ensuite qu’il aime pour de bon, comme on dit, l’innocente et charmante jeune fille qui d’abord avait à peine frappé ses regards. Il y a du reste une correspondance parfaite entre ses sentimens et ceux de la jeune fille. Si quelque Monte-Cristo n’apparaît pas derechef, comme un deus ex machina, le cas des amoureux me paraît mauvais. Il l’est en effet, et au-delà de toute prévision : l’épouse coupable se laisse mourir de remords et de chagrin, et pour comble, l’amant se tue. Un certain docteur, qui a soigné la femme criminelle, a fait honte au séducteur de sa conduite et l’a décidé à cet héroïque sacrifice, qui ne serait pas du goût de tous les amans. Quant à la jeune fille, qui a déjà préparé sa robe de mariée et qui ne comprend rien à ce lugubre dénoûment, elle pardonne solennellement et à tout hasard à son futur, dont elle reçoit le dernier soupir, et cela sur la foi du docteur, qui lui dit que le suicide est une expiation. Nous n’ajouterons qu’un mot : M. Génissieu, dans la dédicace de son livre, exprime la conviction d’avoir fait une œuvre morale ; nous n’entendons pas y contredire : que l’auteur d’Un fils d’Ève se préoccupe en outre à l’avenir de faire une œuvre littéraire..

Il y a relativement plus d’observation et de maturité dans Le secret de M. de Boissonnange, de M. Eugène Deligny. M. de Boissonnange est