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cinquante années. Que la direction du Musée se fût empressée d’établir dans les parties inoccupées du Louvre un local convenable à l’exposition du cabinet de M. Lacaze, qu’on eût à cet effet disposé, décoré un ou plusieurs salons sans regarder à la dépense, rien de mieux, nous n’aurions pu donner trop d’éloges à cette sollicitude éclairée ; mais pour créer fallait-il donc détruire ? Pour nous faire jouir de ces gracieuses productions de l’esprit français, fallait-il nous priver d’une adorable série des œuvres les plus charmantes et les plus pures du génie grec ? En vérité, c’est à n’y pas croire. Nous ne pouvons nous imaginer qu’il faut renoncer à revoir dans cette vaste salle des états, sous cette lumière tombant de haut et accusant si bien les moindres reliefs, dans ces belles vitrines, derrière ces grandes glaces, et dans un ordre si méthodique et si artistement combiné, cette collection de terres cuites antiques, incomparable et introuvable, qui seule avait justifié l’acquisition tardive et onéreuse du musée Campana en partie défloré, devant laquelle tous les savans d’Europe s’étaient extasiés, ne sachant ce qu’ils devaient nous envier le plus de la collection elle-même ou de cette façon de la faire si bien valoir. Rien à coup sûr, depuis bien des années, n’avait fait plus d’honneur à la direction de nos musées que l’arrangement de cette salle ; rien n’avait tant charmé nos artistes, même nos industriels, qui devant ces admirables figurines, ces bas-reliefs exquis, devant ces heureux’ exemples de la couleur appliquée à la plastique, avaient puisé des notions de style dont la trace commence à se faire sentir dans certaines productions de notre haute industrie. Eh bien ! cette salle si parfaitement éclairée, si habilement disposée pour l’étude, permettant même aux moins instruits de comparer entre eux tous ces petits chefs-d’œuvre sans déplacement et sans efforts, cette salle, vous ne la verrez plus, elle a cessé d’exister ; les vitrines sont enlevées ; les terres cuites iront où elles pourront ; on s’occupera de les loger quand on en aura le temps, on les divisera peut-être, sans pitié pour la chronologie ; on parle même de les trier, d’en envoyer la moitié en province ; peu importe, on fera ce qu’on voudra, cela ne regarde personne. En attendant, elles sont déposées depuis cinq mois sur le parquet de la galerie Charles X, qu’elles encombrent et qui par suite est fermée au public. Pourquoi ce bouleversement ? pourquoi cette destruction d’une œuvre faite à grands frais voilà tout au plus six ans ? Parce que c’est dans cette salle et pas ailleurs qu’on a la fantaisie de nous faire voir les tableaux de M. Lacaze. S’y trouveront-ils bien ? Ce jour si haut, favorable aux terres cuites, le sera-t-il à ces petites œuvres coquettes, chiffonnées, à cet art de boudoir ? Nous nous permettons d’en douter. Quand ce serait à tort, et cette charmante collection eût-elle dans ce local tout le succès du monde, nous n’en resterions pas moins aussi attristé que confondu devant ce coup d’état à la sourdine, sans avertissement, sans consultation, devant