Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/249

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son effet. Cette seule figure du Père éternel est pour nous hors de prix, d’autant plus qu’elle diffère du type idéalement sublime et tout italien que le peintre découvrira plus tard pour représenter le Créateur, la première personne de la Trinité. Ici la tête est beaucoup plus humaine, plus voisine des types germaniques, sans cependant tomber dans le portrait. Maintenant si vous continuez la comparaison entre ces deux tympans, vous trouverez des différences non moins significatives : d’un côté deux anges debout s’avançait en adoration sur les nuages, avec naïveté sans doute, mais aussi avec quelle gaucherie ! puis une nuée de chérubins semés à foison dans ce ciel, sans grâce, sans esprit, d’un aspect fatigant par cette profusion même et par la monotonie de ces formes : joufflues ; d’autre part au contraire, dans ce tympan de Pérouse, quelle sobriété, quel goût ! Deux têtes de chérubins, pas davantage, mais quelles ravissantes créatures ! et les deux anges, quelle heureuse innovation que de les avoir mis à genoux ! comme ils se groupent, comme ils sont ajustés, avec quel style déjà tout magistral ! Cette seule comparaison vaut un cours d’esthétique ; elle révèle, explique, commente Raphaël mieux que tous les professeurs. Nous possédons déjà un des termes du parallèle ; l’autre est là, gardons-nous de le laisser partir.

Ce n’est pas tout, descendons au tableau. Je vois des gens qui nous disent : A quoi bon acquérir ces peintures ? nous en avons d’autres an Louvre de la même main, tout aussi authentiques et infiniment plus parfaites. — Assurément, si pour souhaiter qu’un tableau soit acquis il faut nécessairement qu’aucune tache ne le dépare, ne parlons plus de celui-ci. Un jeune homme, même un jeune homme de génie, ne peut éviter quelques fautes, et il s’en trouve ici qui n’échapperont pas même aux yeux les moins exercés. Ainsi le petit saint Jean n’a pas des proportions heureuses : sa grosse tête lui donne un peu l’aspect d’un nain, et son ajustement laisse également à désirer. La sainte, vue de face, est une figure de cire, sans caractère, sans expression. Il est vrai que son visage est traversé, justement à la hauteur des yeux, par une fente du panneau. Cette fente est remplie d’un mastic assez mal appliqué sur lequel je ne sais quel pinceau a fait des yeux qui louchent, ce qui n’ajoute pas grand charme à ce visage déjà peu vivant par lui-même. C’est à peu près la seule tare un peu notable qu’il faille citer dans ce tableau ; mais la tête de la sainte Catherine suffit, à notre avis, pour racheter tout cela. Si cette tête se rencontrait dans un tableau peint à Florence, un ou deux ans plus tard, on ne manquerait pas de l’admirer ; ce profil si candide et si pur, ces blondes tresses si gracieusement nouées, en quelque lieu qu’on les trouvât, auraient un charme souverain ; mais là, dans cet ensemble, dans cette composition empreinte encore d’archaïsme ombrien, ne sent-on pas que cette tête, outre sa propre beauté, prend comme un autre attrait d’un genre particulier, l’attrait d’un fruit