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ainsi que le saint Jean. Vasari nous apprend que les bonnes dames du couvent avaient interdit au peintre les nudités, même enfantines. Je ne sais en vérité si de cette exigence n’est pas né, par sa rareté même, comme un charme de plus dans la composition. Sur le premier plan du tableau, et comme gardiens du céleste trône, on voit d’un côté saint Pierre et de l’autre saint Paul. Derrière eux, et plus près de la Vierge, deux saintes sont debout, saintes martyres, comme l’indiquent les palmes qu’elles portent à la main ; l’une est vue de profil, l’autre de face. La première est incontestablement sainte Catherine, la roue armée de dents sur laquelle elle s’appuie ne permet pas le doute ; l’autre, au dire de Vasari, serait sainte Cécile ; M. Passavant l’appelle sainte Dorothée, et, à voir les fleurs qui lui ceignent le haut du front, on pourrait aussi bien en faire sainte Marguerite. L’ensemble de ces sept figures n’est pas tout le tableau, ce n’en est que la partie centrale. Il y avait dans le bas un gradin, una predella, suivant l’usage alors constamment suivi pour les tableaux d’autel, et dans le haut un couronnement cintré, un tympan semi-circulaire, où Dieu le père à mi corps, entouré d’anges et de chérubins, contemple du haut de sa gloire l’enfant divin et sa mère, autre usage presque aussi constant. Le gradin fut vendu par les religieuses à la reine Christine de Suède moyennant 601 écus romains, en 1663, quinze ans avant la vente des deux autres parties du tableau. Que ce gradin, composé de trois petits sujets, dont un délicieux portement de croix, soit venu de Suède dans la galerie d’Orléans, puis qu’il ait passé en Angleterre comme presque tous les trésors de cette galerie ; que l’ouvrage de Crozat nous donne connaissance de ces trois petites compositions, ce sont là autant de détails étrangers à notre sujet. Ne parlons que du tympan et du tableau central, puisqu’ils sont là devant nos yeux et que c’est d’eux seulement qu’il s’agit.

Par un hasard singulier nous avons à Paris, dans l’église Saint-Gervais, au-dessus du banc d’œuvre, un ancien tympan de même forme que celui-ci, bien qu’un peu plus grand d’échelle, traitant le même sujet, d’après les mêmes traditions, et à peu près dans le même style. C’est une œuvre du Pérugin, exécutée, sinon tout entière de sa main, du moins dans son école, sous ses yeux et sous sa direction. Or rien n’est plus intéressant, plus instructif que de comparer ces deux peintures. La prodigieuse supériorité de l’élève éclate de toutes parts. Dans le tympan de Saint-Gervais la figure principale, Dieu le père, a beau ne manquer ni d’ampleur ni même de noblesse, comme on y sent la convention, quelles formes banales, sans nerf, sans accent ! Dans le tympan de Pérouse au contraire quelle merveille que cette même figure ! que ce regard abaissé est tendre et compatissant ! quelle expression pénétrante sans la moindre banalité ! et comme peinture, quelle touche délicate et puissante ! pas un coup de pinceau qui ne porte, qui n’ait son intention et