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Pour ceux qui se plaisent aux analogies de l’histoire, la crise de 1869 et de 1870 ressemble étrangement à une autre crise parlementaire du temps passé, celle de 1816, et elle doit inévitablement se dénouer de la même manière. La majorité sortie des dernières élections, c’est la majorité royaliste de 1816 ; le ministre libéral d’autrefois s’appelait M. Decazes, il s’appelle aujourd’hui M. Émile Ollivier, et le corps législatif actuel ne peut échapper à un coup semblable à cette ordonnance du 5 septembre 1816, qui fut le point de départ des plus libérales et des plus fécondes années de la restauration. Tout cela est fort bien ; mais cette opposition ou plutôt cette majorité de la chambre introuvable de 1816 concentrait en elle-même toutes les passions les plus furieuses de réaction. Elle poussait aux proscriptions implacables, à la banqueroute envers les créanciers mal pensans, au rétablissement de tous les privilèges. Ce qu’elle voulait en un mot, et elle ne le cachait pas, c’était pousser jusqu’au bout sa victoire sur la révolution, de même que la révolution avait poussé jusqu’au bout sa victoire sur l’ancien régime. Franchement le corps législatif actuel est-il de cette trempe ? et en est-il arrivé à ce point de puissance réactionnaire que M. Émile Ollivier n’ait plus qu’à reprendre au plus vite le rôle sauveur de M. Decazes ? Bien mieux, cette ancienne majorité dont on parle toujours n’est même plus la majorité ; elle n’est qu’une minorité, et parmi ces cinquante-six qui l’autre jour ont brûlé leur dernière poudre pour la candidature officielle, si l’on pouvait compter ceux qui voteraient pour le rétablissement du régime de 1852, combien y en aurait-il ? Il ne suffit pas de dire que tout est changé, qu’à une situation nouvelle il faut nécessairement un corps législatif nouveau. La révolution de 1830 avait bien aussi changé quelque peu l’état de la France ; la chambre des députés ne fut cependant pas dissoute, elle resta ce qu’elle était, complétée par des élections partielles, et, parmi les victorieux employés à consolider l’œuvre de juillet, beaucoup ne croyaient pas certainement avoir été élus pour cela. Lorsqu’en 1839 le comte Molé, ayant à faire face comme chef de ministère à une formidable coalition parlementaire, en appelait au pays, on ne lui épargnait pas la dure et amère accusation d’être l’instrument du pouvoir personnel, de pousser jusqu’à la dernière limite dans les élections l’abus des influences officielles et de la corruption administrative. Ceux qui vinrent après M. Molé n’eurent pourtant pas la pensée ou ne se crurent pas obligés de dissoudre cette chambre qu’ils avaient représentée d’avance comme viciée par l’action administrative, et qui se composait au moins pour moitié de députés dévoués à l’ancien ministère ou à ce qu’on nommait le pouvoir personnel. On s’arrangea avec elle, et on marcha du mieux qu’on put. Nous ne voulons dire qu’une chose : la dissolution, telle qu’elle se présente aujourd’hui, n’est ni une affaire de principe, ni une affaire de né-