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s’il rencontre un vieux nid qu’il puisse aisément réparer. On a songé à mettre à profit cette paresse pour retenir ou même attirer les petits oiseaux dans les lieux où ils étaient devenus rares ; des nids artificiels ont été placés dans les arbres et les buissons, et le succès a été complet. La plupart des abeilles solitaires ont aussi leur paresse. Des espèces de ce groupe qu’on nomme les anthidies ont fourni à un entomologiste anglais un exemple de paresse qui mérite d’être noté, tant il prouve l’intelligence de ces curieux insectes. Les anthidies garnissent habituellement leurs nids d’une sorte de flanelle qu’elles confectionnent lentement avec la bourre des fruits des scrofulaires et des bouillons blancs ; des individus de ce genre, apercevant des vêtemens de flanelle qui séchaient sur le pré, allèrent en tailler des morceaux. Le travail était tout de suite fait.

L’homme, qui domine la création entière par l’ensemble de ses aptitudes physiques, par ses facultés intellectuelles et par la possession de la parole, est soumis en ce monde aux mêmes lois que les autres créatures. On a, répété complaisamment que seul il fait des progrès, et un physiologiste célèbre, qui s’est beaucoup occupé des fonctions du cerveau, a exprimé cette pensée par une sorte de sentence : « l’animal ne fait jamais de progrès comme espèce ; l’homme seul fait des progrès comme espèce. » Cela semble vouloir dire que les hommes d’aujourd’hui ont une supériorité naturelle sur ceux de l’époque de Moïse ou du temps de Périclès ; en réalité, on a confondu l’espèce humaine avec la société, qui se perfectionne et qui grandit par le travail de ses membres.

En résumé, le grand caractère d’unité qui se dégage de l’ensemble des faits de l’ordre physique se dégage également de l’ensemble des faits de l’ordre intellectuel les mieux observés et les plus indiscutables. De même que les aptitudes, que les fonctions perdent en importance lorsque les instrumens se simplifient et disparaissent lorsque les organes n’existent plus, les facultés de l’ordre intellectuel, s’amoindrissent quand l’organisme se dégrade. Nulle part les phénomènes de la vie ne diffèrent essentiellement ; ici se manifestant avec éclat, ailleurs d’une manière faible, ils s’évanouissent lorsqu’il n’y a plus d’instrumens pour les produire. Chez les êtres animés, l’union est intime entre tous les phénomènes, et seule la reconnaissance de cette vérité, qui est un récent progrès issu de l’étude et de la raison, prépare à l’investigation scientifique une nouvelle voie, et promet à l’esprit humain de nouvelles lumières.


ÉMILE BLANCHARD.