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V

Toutes les coïncidences du genre de celles que nous venons d’examiner entre les aptitudes physiques et l’organisme des êtres peuvent être saisies dans les moindres détails par l’observation et l’expérience. Seulement ce n’est point aux phénomènes de l’ordre physique que la science doit s’arrêter dans l’étude de la vie, les phénomènes de l’ordre psychologique lui appartiennent aussi. La liaison est intime entre les deux ordres de phénomènes. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer entre eux quelques animaux dans toutes leurs manifestations, et ces animaux à l’homme lui-même. Nous ne sommes plus au temps où l’on croyait sérieusement que les bêtes sont de simples machines.

L’esprit humain a tout d’abord été frappé par les différences prodigieuses qui se révèlent dans les formes, dans la conformation organique, dans les habitudes des êtres. La diversité est immense en effet, car chaque espèce porte son empreinte dans des caractères zoologiques et biologiques parfaitement appréciables ; mais, après une longue suite de recherches, l’unité dans le plan général a été dévoilée. On avait reconnu chez tous les êtres animés les mêmes appareils organiques, les mêmes tissus, les mêmes fonctions, le même commencement. Ce qui diffère, c’est le degré de développement ou de perfection, ce sont les appropriations. Les facultés du domaine de l’intelligence sont-elles soumises à une autre loi ? Poser la question, c’est faire comprendre tout ce qu’il y aurait là de contraire à l’harmonie des phénomènes naturels ; rapprocher les faits les mieux démontrés par l’observation et l’expérience, ce sera fournir les preuves évidentes que la loi est la même. Cuvier a dit un jour : « Pour bien connaître l’homme, il ne faut pas l’étudier que dans l’homme. » Le grand naturaliste songeait surtout aux détails matériels de l’organisme. Avec une égale vérité, on peut ajouter : Pour bien connaître l’intelligence, il ne faut pas l’étudier seulement dans les manifestations de l’intelligence humaine.

Comme on a déjà pu en juger par les détails que nous avons rapportés sur la vie de divers animaux, les instincts très développés chez les espèces douées d’une riche organisation se restreignent en même temps que l’organisation se dégrade. Tout animal a l’instinct de faire usage des instrumens qu’il possède, et la nature de ses instrumens détermine le genre de ses opérations. L’homme ne fait nulle exception à cette règle. Saurait-on s’imaginer des hommes réunis en un petit groupe isolé qui ne se serviraient pas de leurs mains pour façonner des armes, des outils, des ustensiles, pour se bâtir des abris avec les matériaux à leur portée, pour se