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pénétrant. Il a organisé en faveur du concile une souscription à grand fracas, qui n’était qu’un moyen d’agiter l’opinion. « O sainte Vierge, s’écriait un souscripteur, le pape vous a proclamée immaculée, faites qu’il soit infaillible ! » C’était une heureuse application de la loi des échanges : donnant, donnant. Au moment du départ pour Rome, les mandemens ultramontains se sont mis à pleuvoir comme grêle. Plusieurs évêques ont transformé leurs adieux en scènes pathétiques ; ils se sont fait remettre en grand apparat des adresses qui les suppliaient de pousser à la proclamation de l’infaillibilité du saint-père. Reconnaissant une voix du ciel dans ce qui n’était que l’écho de leur propre pensée, ils ont promis de se conduire à Rome en courageux confesseurs.

Le catholicisme libéral a bien des degrés. S’il compte des adhérens dans tous les pays, même en Angleterre et en Belgique, il n’est nulle part aussi décidé, aussi hardi qu’en Allemagne. On n’habite pas impunément cette terre classique de la libre science. Le génie de la race se plie difficilement au joug, du moins dans le domaine de la pensée, car l’Allemagne s’est souvent montrée trop docile dans la vie politique. Le contact avec les grandes églises de la réforme a été très salutaire au catholicisme germanique, qui, loin de s’enfermer dans ses séminaires comme dans une citadelle d’obscurantisme, s’est mêlé à la vie universitaire, si indépendante en Allemagne. A Munich, à Tubingue, il a eu ses écoles, illustrées par des travaux considérables. Il a pu revendiquer pour des hommes comme Hœfele et Mœhler une place distinguée dans la phalange des grands théologiens du XIXe siècle. L’ultramontanisme ne trouvait pas les conditions favorables pour se développer sur cette terre de la science large et profonde et de la piété mystique ; il parvenait sans doute à s’y établir, mais il n’y exerçait aucune prépondérance, si ce n’est dans quelques contrées de l’Allemagne du sud. Dès que la bulle d’indiction du concile parut avec le commentaire et le programme de la Civiltà cattolica, la résistance aux prétentions des jésuites commença de s’organiser. Au mois de juillet, la Gazette de Cologne publiait le manifeste dit des catholiques allemands, qui faisait entendre des bords du Rhin les vœux des laïques pieux et distingués. Voici en substance ce qu’ils réclamaient avec autant de modération que de fermeté au nom des plus chers intérêts de l’église : « Si dans un concile général les évêques ont seuls le droit de délibérer, les pensées et les désirs de tous les membres de l’église doivent être pris en considération ; les laïques peuvent aussi bien que les prêtres avoir de l’influence sur les décisions d’un concile. Les laïques ultramontains ne se font pas faute de cette intervention dans des journaux passionnés qui parlent certes assez haut. Ce parti