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souplesse aux libres institutions, bien que les quelques évêques nés sur le sol de la république soient tous libéraux en politique, plusieurs d’entre eux ont donné des gages à l’ultramontanisme, qui compte également sur les évêques irlandais. Cependant une portion du clergé américain a réclamé la liberté de l’église-vis-à-vis des pouvoirs civils ; cette manifestation a fait concevoir des espérances exagérées sur ses dispositions, car il est certain que cette fois la minorité seule avait parlé. L’église catholique de la Grande-Bretagne est tout entière gagnée au parti papal ; la fraction irlandaise, qui a su maintenir son indépendance dans une glorieuse pauvreté en repoussant tout salaire de l’état, est plus fanatique qu’éclairée. Elle a les ardeurs d’une minorité longtemps persécutée, et la grande mesure réparatrice qui vient d’illustrer le ministre Gladstone n’a pas réussi à la calmer. L’église catholique anglaise proprement dite est poussée aux extrêmes par un double motif : elle est séparée du culte national, en outre elle est essentiellement une église de convertis, sans avoir d’ailleurs aucune chance d’entamer le roc anglo-saxon. Son représentant le plus distingué, l’archevêque Manning, est un ancien fellow d’Oxford. L’un des premiers, il a levé le drapeau de l’infaillibilité pontificale dans un manifeste qui a fait sensation et donné le ton au parti. Les luttes passionnées dont la Belgique est le théâtre entre les catholiques et les libéraux ont jeté la majorité des premiers dans l’ultramontanisme le plus fougueux. M. Dechamps a, lui aussi, publié sur l’infaillibilité du saint-père un mandement qui a eu un retentissement considérable ; il a contribué à dessiner les positions avant le concile. Genève a fourni au même parti l’un de ses orateurs les plus agréables, couvrant de fleurs les doctrines absolues ; c’est M. Mermillod, évêque d’Hébron, qui est tout ensemble ultramontain et radical, toujours aimable et onctueux. Les ultramontains d’Italie sont des hommes d’action qui ne savent ni parler ni écrire ; avec leurs confrères d’Espagne, ils représentent au concile ces moines utiles qui, au dire de Pascal, remplacent les raisons pour les autoritaires à bout d’argumens.

Le contingent ultramontain venant de France a une bien autre importance certes ; il a pour lui le nombre, car depuis le commencement du siècle l’ancien gallicanisme a de plus en plus perdu de son crédit. La plupart des séminaires appartiennent à la tendance papale. Saint-Sulpice se défend encore quelque peu au nom de ses glorieuses traditions. Un journaliste passé maître dans l’invective a beaucoup contribué à ce revirement des esprits. Il a repris tous les thèmes de la Civiltà cattolica, les a dépouillés de leur lourde enveloppe scolastique et les a taillés en quelque sorte en flèches acérées, trempées dans ce fiel dévot qui est le fiel le plus amer et le plus