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dogmatiques qui divisaient alors la chrétienté, on se préoccupa de trouver des formules assez précises pour exclure la réforme, assez souples pour ne rejeter aucune école catholique. « Le pape, dit le cardinal Pallavicini, l’historien orthodoxe du concile, ne se prononça directement que sur un point, celui de laisser intactes les opinions diverses des scolastiques, afin qu’on ne s’aliénât aucune école sans nécessité, et que les catholiques se sentissent unis contre les hérétiques. » Ces moyennes d’opinions sont difficiles à saisir. On s’en aperçut fort bien lorsqu’après le concile deux des théologiens qui avaient concouru à la rédaction du canon sur la rédemption publièrent des commentaires parfaitement contradictoires. Le pape prit des précautions beaucoup plus grandes pour les décrets qui concernaient son autorité. Il fit d’abord tout ce qu’il put pour mettre le concile à sa portée. Un beau jour, ses partisans répandirent le bruit que la peste ravageait la ville de Trente ; c’était une maladie toute bénigne et aimable, qui avertissait de ses intentions, car elle n’avait encore fait aucune victime. Aussi comprit-on bien vite qu’il s’agissait de la peste libérale, et le concile, qui s’était transporté à Bologne, revint à Trente. — La cour de Rome pouvait se consoler de cet éloignement, car elle avait les bras longs. Elle envoyait l’inspiration divine aux pères par cette fameuse valise bourrée de bénéfices dont parlait assez irrévérencieusement Ferrier, l’ambassadeur de France. Le chapeau ne fut accordé qu’aux bien pensans. Pallavicini raconte sans sourciller que dans un moment difficile le cardinal Morone, légat du pape, mandait au saint-père qu’il ferait bien de tenir prêts un certain nombre d’évêques pour les envoyer à Trente dans le cas où ceux d’au-delà les monts pousseraient trop loin leurs exigences. Le vrai directeur du concile était Lainez, le supérieur de l’ordre des jésuites. Quand il parlait, il faisait dresser son siège au centre de l’assemblée, et son geste nerveux était celui du commandement sans réplique. Les évêques italiens couvraient de leurs voix tumultueuses toute parole quelque peu indépendante. Un évêque de Cadix ayant affirmé que les métropolitains avaient autrefois ordonné les évêques de leurs provinces, il fut violemment interrompu par le cardinal président, et les Italiens le réduisirent au silence par leurs trépignemens et leurs clameurs. « Que ce maudit cesse de parler ! » s’écrièrent-ils en chœur.

Tels étaient les ressorts secrets qui faisaient mouvoir cette « grande et lourde machine » du concile, selon l’expression de Sarpi. Les résultats, en ce qui concerne l’autorité papale, furent équivoques : l’infaillibilité du saint-père fut réservée ; mais l’indépendance des évêques ne reçut aucune garantie, et la question de l’institution directe par Jésus-Christ resta dans le doute ou dans l’ombre. Elle