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de Boulogne de New-York, est bien dessiné, et il offrira, lorsque les ombrages s’y seront développés, une fort agréable promenade. C’est un passe-temps des plus récréatifs de s’y rendre à l’heure où le beau monde l’envahit, et d’y voir passer les fameux trotteurs dont les Américains ont fait une de leurs plus coûteuses fantaisies de luxe. On me montra un jour, dans une voiture découverte, un vieillard qui conduisait lui-même deux superbes chevaux ; c’était le richissime commodore V…, dont l’attelage valait, dit-on, 100,000 francs. A diverses reprises, mes amis me conduisirent au théâtre ; mais j’en revins médiocrement satisfait des pièces que j’avais vu représenter. Les plus passables demeuraient encore, à mon avis, bien au-dessous de celles qu’on joue sur nos scènes inférieures. Quant aux interprètes, ils sont d’un talent inégal, et on a rarement l’occasion d’en applaudir un bon ; l’ensemble est presque toujours insuffisant. Le genre burlesque est tout aussi en faveur à New-York qu’à Paris, et les théâtres où l’on débite les plus grosses absurdités sont ceux qui récoltent les plus fortes recettes. J’assistai un soir à la représentation d’une pièce dans laquelle un train de chemin de fer, locomotive en tête, devait traverser la scène. Ce spectacle de haut goût était accompagné d’une musique à grand orchestre. On jouait un galop, et le bruit de la locomotive en marche était imité à l’aide de petits balais dont les artistes frappaient leurs contre-basses à coups réguliers. Ils faisaient un tel vacarme qu’il devint bientôt impossible de distinguer une seule note de musique. Le public paraissait dans l’enchantement. Le morceau fut bissé avec frénésie. Il se termina brusquement par un violent coup de sifflet qui me déchira les oreilles, et par l’apparition d’une petite locomotive en carton, un joujou d’enfant qui, aux éclats de rire du public, traversa la scène. Cette farce naïve était une des grandes attractions du moment, et suffirait, à ce qu’on m’assura, à faire la fortune de l’auteur. Un musicien allemand, nommé Thomas, poursuit à New-York le même but que le directeur des Concerts populaires à Paris : il veut répandre le goût de la musique classique, et donne une série de concerts dont les programmes, quoique moins exclusifs que ceux du cirque Napoléon, sont cependant en grande partie composés de morceaux des meilleurs maîtres ; mais la musique toute seule n’aurait point, paraît-il, le don d’attirer assez de monde, car on donne les concerts dans la vaste salle d’un restaurant où, à propos de musique, on consomme, en quantités considérables, des boissons de toute sorte. Le public avait l’air néanmoins très attentif, et applaudissait aux bons endroits. Je crus remarquer qu’il se composait en majorité d’Allemands.

Dans les environs de New-York, on peut faire d’intéressantes