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d’une alerte de la part des ouvriers cantonnés à Wasatch. Ces gens avaient en effet, cinq ou six jours auparavant, tenté un coup de main dont le résultat leur avait été tellement favorable qu’il ne fallait pas grande imagination pour en appréhender le renouvellement. Cet acte de violence nous fut communiqué dans tous ses détails. Un grand nombre d’ouvriers avaient eu à se plaindre de la manière dont leurs comptes étaient réglés par les agens et les entrepreneurs de l’Union ; on les payait irrégulièrement, et à l’époque dont je parle de fortes sommes leur étaient dues. A Piedemont, à 38 milles de Wasatch, le mécontentement avait éclaté ouvertement. Les ouvriers, ayant appris le passage du vice-président Durant, avaient détaché du train la voiture dans laquelle il voyageait, et après l’avoir entouré et fait en quelque sorte prisonnier, ils lui avaient nettement signifié qu’ils lui joueraient un vilain tour, s’il ne se mettait sans retard en mesure de régler leurs comptes. M. Durant, sachant à qui il avait affaire, avait rédigé une dépêche demandant un envoi immédiat d’argent. L’employé du télégraphe chargé de transmettre la dépêche avait été averti que s’il expédiait un télégramme requérant le secours de la force armée ou dénonçant de façon ou d’autre la conduite des ouvriers, on l’entraînerait dans la montagne pour le fusiller ou pour le pendre. Heureusement pour l’employé et pour le président, on n’avait pas perdu un moment pour envoyer une forte somme d’argent à Piedemont, et les ouvriers, leurs comptes réglés, n’avaient plus mis d’obstacles au départ de M. Durant. Ce fait n’était pas volontiers avoué par les directeurs de l’Union ; il n’est pas permis de douter cependant qu’il ait eu lieu tel que je viens de l’exposer. Il me fut raconté par plusieurs ouvriers, et j’en trouvai plus tard la confirmation dans différens comptes-rendus de récens voyages sur le chemin du Pacifique.

On prétendait, à tort ou à raison, que les ouvriers de Wasatch, aussi mal payés que ceux de Piedemont, ne cherchaient qu’une occasion de s’emparer de la personne d’un des directeurs de l’Union, et comme nous faisions route en compagnie du président Durant, cette circonstance devint pour nous l’explication la plus plausible des manœuvres qui nous avaient incommodés jusqu’à la pointe du jour. Quoi qu’il en soit, les ouvriers se tinrent tranquilles ; on nous fit changer de voitures, et on nous prévint qu’il fallait s’occuper de nos billets et de l’inscription de nos bagages pour Omaha. Nous essuyâmes en cette occasion les mêmes tribulations qu’à Promontory. Nos malles et nos effets étaient jetés pêle-mêle à côté de la voie, ce ne fut pas sans peine que chacun de nous parvint à réunir les élémens épars de la propriété.

La route à l’orient de Wasatch est horriblement triste. On