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époque où la législation punissait sévèrement en France, en Angleterre et en Belgique le délit de coalition, les grèves n’en éclataient pas moins fréquentes, tumultueuses, quelquefois sanglantes.

Il est intéressant de pénétrer un peu plus à fond dans ces crises industrielles qu’a déjà enveloppées le voile de l’oubli. Nous y trouverons les procédés qui sont encore en usage de nos jours. Ce sont d’abord les mêmes prétentions et les mêmes demandes : une augmentation de salaires, l’établissement d’une rémunération égale pour les ouvriers, la diminution des heures de travail, la limitation du nombre des apprentis : quelquefois aussi ce sont des susceptibilités blessées, des froissemens plus ou moins légitimes, une irritation personnelle contre les patrons ou les directeurs ; mais cette dernière cause est beaucoup moins active et moins générale que de nos jours, l’amour-propre des ouvriers est moins chatouilleux, ils n’ont pas encore ce tempérament nerveux, irritable, prompt à s’offenser ; ils sont, à ce point de vue, plus maniables et de meilleure composition. La grève se déclarait alors comme aujourd’hui même. Lors de la coalition des charpentiers en 1845, il y a un chef attitré : c’est le secrétaire de la société des compagnons du devoir, fonctionnaire jouissant d’un traitement fixe, qui parlemente pour ses camarades. Lors de la grève de Lyon en 1834, il y avait parmi les ouvriers de cette ville deux grandes associations, celle des mutuellistes et celle des ferrandiniers. L’une et l’autre avaient été fondées en vue de secours mutuels ; mais, comme les trade’s unions anglaises, elles avaient été détournées de leur destination primitive. Dans l’association des mutuellistes, l’on mit aux voix la question de savoir si l’on entrerait en grève ; l’affirmative fut adoptée à la majorité de 1,297 suffrages contre 1,044 : c’était une bien faible majorité pour avoir d’aussi graves conséquences, puisque le sang coula ensuite à flots. — Si l’on considère l’intimidation qui préside toujours à de pareilles résolutions, l’on doit dire qu’une majorité nominale aussi faible correspond à une minorité réelle. Les partisans des mesures extrêmes sont en effet toujours plus résolus, plus actifs, plus audacieux ; ils ne manquent jamais d’être présens au vote. Les modérés sont plus craintifs, ils restent de préférence chez eux, ou bien ils se laissent entraîner à suivre l’opinion la plus bruyante. C’est là l’histoire de tous les temps et de tous les pays.

La grève, une fois déclarée, suivait son cours avec l’accompagnement ordinaire de violences que l’on voit aujourd’hui ; l’on doit même dire en toute impartialité que le langage des grévistes actuels est dans la forme moins rude et moins grossier. Ceux qui autrefois ne voulaient pas se soumettre à l’opinion de la majorité étaient