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à Rome. Au Vatican, le Pinturicchio a peint les lunettes de trois des salles de l’appartement Borgia; à Santa-Maria-del-Popolo, deux chapelles et le plafond du chœur; à Santa-Croce-in-Gerusalemme, une longue bande de peinture, sorte de plinthe circulaire imagée dans la partie inférieure de la coupole de la tribune; à Santa-Maria-d’Ara-Cœli, une chapelle consacrée à la mémoire de saint Bernardin de Sienne; enfin à Saint-Onuphre, la partie supérieure de la tribune et la petite Vierge que nous venons de mentionner. S’il est d’autres ouvrages de lui, nous ne les avons pas vus; mais il suffit de ceux que nous venons de mentionner pour apprendre au lecteur quelle est l’importance de cet artiste à Rome. A l’exception de Michel-Ange, de Raphaël et du Dominiquin, nul artiste n’a fait autant que le Pinturicchio pour la décoration de la ville éternelle. Eh bien! malgré tant de travaux, à Pinturicchio passe presque inaperçu à Rome, et la plupart des voyageurs s’en retournent certainement sans emporter de lui aucun souvenir durable. Différentes circonstances expliquent le guignon qui s’attache à ce grand artiste, si pur, si pieux, si sérieux, si digne d’une meilleure gloire. La plupart des chapelles qu’il a peintes sont fort sombres; celle de la ténébreuse église d’Ara-Cœli ne reçoit le jour que d’un seul côté : aussi n’y a-t-il qu’une des murailles qui se laisse facilement étudier. Les salles de l’appartement Borgia sont fermées au public et ne se voient pas sans une permission assez difficile à obtenir. Quand on obtient cette permission, on trouve des peintures très endommagées par l’humidité, presque invisibles grâce à l’obscurité des salles et à la hauteur des lunettes, à moins cependant qu’on ne se décide à grimper sur des échelles placées dans la bibliothèque, sans aucun souci de savoir si le gardien qui vous accompagne ne prendra pas mauvaise opinion de vos manières. Notre amour des arts nous a poussé àpren.re courageusement ce parti; mais un gentleman anglais correct ne l’aurait point fait, et serait sorti de l’appartement Borgia aussi avancé qu’en y entrant. Grâce à la malveillance du hasard, une injustice imméritée pèse donc sur ce grand talent. Essayons de la réparer autant qu’il est en nous.

Bernardin Pinturicchio, le plus illustre à mon gré des peintres qui se rattachent à l’école du Pérugin, fut l’ami, presque le camarade de Raphaël, quoique son aîné de beaucoup, et il l’emmena, dit-on, travailler avec lui aux fameuses peintures de la sacristie du duomo de Sienne; mais un monde sépare les deux artistes, et, si nous ne savions pas qu’ils ont été contemporains, nous pourrions croire qu’ils ont vécu à plus d’un siècle de distance, tant leurs manières de comprendre l’art sont différentes. C’est en considérant les peintures du Pinturicchio que nous avons eu nettement conscience