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LA GUERRE DU PARAGUAY.

alliées, elles ne rencontrent que des populations exténuées par la misère et par les maladies, tristes débris d’un peuple décimé qui ne peut plus vivre que par la commisération du vainqueur. C’est une situation des plus lamentables et sur laquelle la Revue a déjà, et à diverses reprises, appelé l’attention[1]. Aujourd’hui que le drame touche à son dénoûment, nous voulons en faire un résumé rapide en profitant des révélations que les péripéties de la crise suprême ont mises en lumière.


I.

L’abondance des témoignages qui se produisent chaque jour ne permet plus de douter que le véritable auteur de cette guerre désastreuse ait été le président de la république du Paraguay. Sous un nom qui éveille des idées de liberté, le gouvernement républicain du Paraguay représentait en réalité un despotisme absolu. Les lois et les institutions n’étaient dans ce malheureux pays que de vains mots destinés à tromper la crédulité des étrangers, la volonté du chef était toute-puissante ; elle régnait sans partage et sans frein. Le jour où le président de la république prit le parti d’engager les hostilités, il ne consulta personne, et ses sujets ne furent pas moins surpris par sa résolution que ceux-là mêmes qu’il attaquait.

Le président, aujourd’hui déchu, de la république du Paraguay est l’aîné des cinq enfans qu’a laissés le président don Carlos Lopez, qui lui-même avait succédé, en 1840, à la présidence, ou, pour mieux dire, au despotisme du célèbre docteur Francia, son parent. Le président don Carlos Lopez ne paraît pas avoir abusé extraordinairement de sa toute-puissance, au moins à l’égard des individus. Il respectait les personnes à peu près autant que despote peut le faire. Heureux dans ses rapports avec ses voisins, il parvint à faire reconnaître la république du Paraguay par le Brésil en 1846, par la confédération argentine en 1852, et presque immédiatement après par toutes les puissances. De là à entretenir des rapports réguliers avec l’extérieur et à conclure des traités avec l’étranger, il n’y avait qu’un pas : en 1853, la navigation des fleuves de l’Amérique fut ouverte à tous les pavillons. Ce fut un événement considérable dans la politique du Nouveau-Monde, et peut-être y aurait-il beaucoup de bien à dire du règne de Lopez Ier sans l’idée funeste qu’il eut d’organiser un état militaire hors de proportion avec les nécessités du pays. En agissant ainsi, il croyait peut-être faire œuvre de pru-

  1. Voyez la Revue du 15 février 1865, 15 septembre 1866 et 15 décembre 1867. Ce travail s’éloigne un peu du point de vue des études qui l’ont précédé, mais les documens nouveaux qu’il contient devaient appeler notre attention.