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ORATEURS DE L’ANGLETERRE.

cette politique est celle qu’ont professée les Robert Walpole, les James Fox, les Grey et les Robert Peel.

Elle est aussi celle que préconisent les partisans du régime industriel, pour qui la terre est avant tout un grand et pacifique atelier, et M. Bright fait valoir éloquemment leurs raisons en faveur de la paix. Supputant un jour devant un auditoire populaire ce que la guerre a coûté depuis un siècle à l’Angleterre, il l’estimait à la somme de 2 milliards sterling. « Et quand je pense, s’écriait-il, à cette somme de 2 milliards, aussi incompréhensible à mon esprit que les distances astronomiques que la science nous a rendues familières, une étrange vision passe devant mes yeux. Je vois le paysan bêcher et labourer, semer et récolter, suer sous le soleil de l’été, vieillir avant l’âge au souffle du vent d’hiver. Je vois l’ouvrier anglais, avec sa mâle contenance et son incomparable habileté, travailler sur son banc ou à sa forge. Je vois une ouvrière de nos manufactures du nord, une femme, une jeune fille peut-être, douce et bonne comme le sont vos sœurs et vos filles, je la vois suivant du regard le va-et-vient incessant de la navette, ou penchée sur la broche dont les révolutions rapides échappent à ses yeux ; puis je pense à une partie de votre population qui, plongée dans les mines, y oublie le soleil, et je vois l’homme qui, du fond des entrailles de la terre, élève à sa surface les matériaux de la richesse et de la grandeur de son pays. Et quand je vois tout cela, j’ai devant les yeux une masse de produits que je n’imagine pas mieux que les 2 milliards dont je parlais ; mais j’aperçois dans sa plénitude l’odieuse erreur de vos gouvernemens, dont la politique funeste dévore parfois la moitié, jamais moins du tiers des produits de cette industrie que Dieu destinait à répandre l’aisance à chaque foyer, et prodigue ces fruits de bénédiction sur tous les points de la surface du globe sans procurer le moindre bien au peuple d’Angleterre. » Voilà certes une manière admirable de passionner l’arithmétique. Qu’est-ce à dire cependant, et la cause de la paix est-elle à jamais gagnée ? Quand on considère l’enchevêtrement des intérêts sur cette terre et les difficultés insolubles auxquelles il conduit, on a beau refaire en imagination le roman de l’histoire, on comprend la fatalité de la guerre, et en pesant les résultats qu’elle a fait payer si cher, on se demande néanmoins si elle a toujours été un obstacle et si elle n’a pas concouru quelquefois à la création de l’ordre dans l’humanité.

Il n’en est pas moins certain que ces idées pacifiques ont gagné du terrain en Angleterre, qu’on y est moins disposé qu’autrefois aux interventions hasardeuses ; mais, lorsque la guerre éclata en 1854, il existait une opinion établie et représentée par des hommes d’état populaires, des principes qu’on regardait comme supérieurs à