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si longtemps par l’égoïsme des partis sa voix ait eu, en plus d’une rencontre, des accens indignés. Il se proposait toutefois moins de passionner les âmes que d’opérer la conviction dans les esprits, et ce qui prouve qu’il a réussi, c’est que les idées essentielles de son plan ont été introduites dans le bill de 1867. Il n’avait pas de peine à démontrer, après beaucoup d’autres, que le système établi en 1832 ne pouvait produire une assemblée qui fût l’expression vraie des volontés du pays et l’organe impartial de tous les droits. Les conditions étroites auxquelles était attachée la franchise électorale, une choquante inégalité dans la distribution des sièges, qui donnait à des bourgs de poche, à la fois corrompus et asservis, une prépondérance scandaleuse sur les grands collèges plus indépendans et plus éclairés, enfin la publicité du vote, qui est une atteinte à la liberté des opinions, étaient les vices principaux de la loi, et c’est là-dessus que portait le plan de M. Bright. Les deux premiers points sont, comme on sait, les seuls qui aient été modifiés par le bill de 1867. Le scrutin secret n’y a pas été introduit, et la réforme est, même en ce qui concerne l’extension du droit électoral et la distribution des sièges, moins large que ne l’aurait souhaitée M. Bright ; mais M. Bright n’est pas un homme de parti, dans le sens du moins où on l’entend chez nous. Il n’a pas un programme invariable, il ne se cramponne pas au droit absolu. Il a donc accepté le bill, sans toutefois y borner ses espérances. Quelque incomplet qu’il soit à ses yeux, le bill a ouvert la brèche par laquelle entrera l’égalité politique, et dès à présent, si l’on considère non pas la composition, mais l’origine de la chambre des communes, on est en droit d’y voir une représentation vraiment nationale.

Aux yeux de M. Bright, l’exercice des droits politiques a par lui-même un très grand prix. Bien loin de mettre en lutte les diverses classes de la société et de les asservir toutes à la plus nombreuse, il les rapproche par l’habitude d’une action commune, il dissipé les préventions qui les divisent, il fait naître jusque chez les plus humbles le sentiment salutaire de leur dignité et de leur responsabilité de citoyens ; il calme ceux qui souffrent par la certitude d’obtenir justice, il les réconcilie par l’espérance avec le travail et l’inégalité. Toutefois les droits politiques conférés au peuple sont avant tout une garantie contre les privilèges de classe et un moyen d’introduire dans les institutions une plus grande part de justice. Pour que le gouvernement n’oublie pas ce devoir ou du moins ne le remplisse pas avec une mollesse calculée, la plus sûre condition est évidemment que ceux qui sont les premiers intéressés à la justice concourent au choix des législateurs dans une juste mesure.

Si la langue nouvelle qui a cours aujourd’hui parmi nous était