Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/943

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Violent, Jérémie l’est par l’intensité du désespoir. Un tel désespoir est vertu par son excès, car il révèle à quel point le désespéré aimait son peuple et Dieu. La tête penchée contre ses genoux, il est comme frappé d’une stupeur douloureuse, et quoique sa bouche soit fermée, toute sa personne crie : « N’y a-t-il donc plus d’espoir, et le salut sera-t-il jamais possible? » Ézéchiel indique sa qualité par sa seule attitude; c’est le chef de tous les zelanti de la terre, de tous ceux qui sont brûlés par le zèle des choses de Dieu, fervens, fanatiques même, Athanase, saint Jérôme, saint Bernard, saint Dominique. Il argumenta avec une chaleur colérique contre un adversaire invisible qui se refuse sans doute à comprendre, car il semble l’invectiver avec ce cynisme imagé dont il eut le génie. La Persique, sibylle du pays des mages, de la science fermée, des secrets ésotériques, représente la protection jalouse de la vérité, cette vigilance armée avec laquelle les enfans de la lumière défendent leur flambeau contre les enfans des ténèbres, qui le reprendraient pour l’éteindre, la garde soigneuse autour du dépôt des traditions. Ce n’est pas aux ignorans que cette sibylle à la défiante prudence ira livrer les destinées de la science, ce n’est pas aux impies qu’elle divulguera les secrets de Dieu. L’Érythréenne, belle fille d’Ionie, sibylle du pays de ce Platon dont les doctrines doivent un jour se confondre avec celles du rédempteur attendu, laisse lire sur son visage une confiante espérance. Elle attend l’amant promis : c’est par ces mots d’une amoureuse douceur qu’il faut traduire pour cette vierge des rivages où Vénus prit naissance, où Psyché doit être aimée d’Éros aux derniers jours du paganisme, le même désir que tous les autres personnages, moins sûrs de cette égalité qui fait aimer avec réciprocité, expriment par ces paroles fort différentes : «nous attendons le sauveur, le seigneur, le maître. » Véritable patronne des vierges sages, elle doit sans doute veiller bien avant dans la nuit, car voyez, au-dessus de sa tête un superbe enfant allume la lampe afin d’éclairer le livre ouvert devant elle. Ses traits sont ceux d’une Minerve ou d’une Pallas, et en effet c’est la belle guerrière de la sagesse. L’Erythréenne représente ici cette ardeur de connaître qui fut chez les Grecs une religion et une passion. La figure de Joël, qui est la dernière, est la seule sur laquelle il soit difficile de mettre un sens précis. Je ne puis lire sur son visage attentif que le calme de la certitude et la fermeté inébranlable qui suit les convictions assurées. Je crois qu’il représente ici la constance à la vérité.

Ainsi, dans la succession des sibylles et des prophètes, nous parcourons tous les degrés de l’échelle morale par laquelle l’homme s’élève jusqu’à l’infini, et par laquelle Dieu peut descendre jusqu’à l’homme. Récapitulons ces degrés en leur donnant leurs noms philosophiques. Au deux extrémités de l’échelle, la foi (Jonas) et la