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lier sentiment, mais qui sera certainement compris par tous ceux qui ont admiré Michel-Ange, et surtout par tous ceux qui ont essayé de parler de lui dignement. Les anciens poètes, au moment de commencer leur tâche, se plaçaient sous l’invocation de la muse qui était la patronne naturelle de leur sujet, et appelaient le secours, qui de Calliope, qui de Clio, qui de Polymnie; à leur imitation, au moment de discourir de Michel-Ange, je sens le besoin d’invoquer le secours de la muse de la simplicité. Dieu sait cependant que de pareilles œuvres autorisent tout ce que le langage a d’énergique et de violent, et qu’on peut employer à leur sujet les épithètes les plus excessives sans craindre l’exagération ; mais c’est précisément là qu’est l’écueil. Comme il serait très difficile de faire comprendre que les efforts les plus extrêmes de la parole restent encore au-dessous des émotions qu’elles cherchent à exprimer, le mieux est peut-être de lutter pour rester dans le domaine de la simple prose, et même de ne point craindre d’être aussi terne et aussi plat que possible. La grandeur extraordinaire des pensées qu’il s’agit d’énoncer sera plus que suffisante pour relever cette indigence du langage, ou la faire disparaître dans l’éblouissement des visions qu’elles évoquent. Pour faire comprendre cette nécessité d’être simple en pareil sujet, je vais transcrire fidèlement, sans ornemens ni développemens, en refrénant de mon mieux toute velléité de fantaisie, les conceptions de quelques-uns des compartimens de la chapelle Sixtine.

Dans le premier compartiment, le sujet nous reporte en-deçà de la création. Le monde n’est pas encore; que dis-je? ni le temps, ni l’espace n’ont commencé d’être. D’un fond obscur et terne comme un brouillard épais surgit une figure isolée, avec une sorte d’effarement grave et sublime comme si elle était étonnée de sa solitude. Une tête, un buste, un bras, et c’est tout. C’est Dieu qui vient de se débrouiller du chaos; il est monté des profondeurs de l’infini, il a traversé les flots du silence, il émerge à la surface de la nuit; il regarde, et avec son regard la pensée de la création vient d’éclore. On dit que l’étroitesse de l’espace obligea Michel-Ange à s’en tenir à une figure isolée pour ce compartiment. Si cela est vrai, voilà une nécessité matérielle qui a bien servi son génie ; c’est donc au hasard d’une gênante disposition de la voûte que nous serions redevables de cette grandiose figure. C’est ici le cas de faire observer que ces sortes de gênes servent toujours bien les hommes de génie, et que les médiocrités ne savent jamais s’en tirer.

Passons tout de suite au troisième compartiment : le sujet, c’est la création de l’homme. Comme l’Éternel, qu’il nous mon re soutenu et enveloppé par les anges, Michel-Ange, en peignant cette fresque, semble avoir été porté par le ravissement d’un enthousiasme sublime. L’Éternel, se déployant sur la création, plane au-