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sous la forme de quelque morceau d’histoire ou de philosophie, dont ses collègues écoutaient la lecture avec déférence. Il prenait part encore de temps à autre aux discussions de la chambre des lords, et en 1856 il retrouva une partie de son ancienne vigueur pour s’élever contre l’établissement des pairies viagères. Toujours amoureux de popularité et de succès oratoires, il acceptait volontiers la présidence de sociétés savantes ou philanthropiques, et il débitait dans leurs réunions des discours qu’un public facile à contenter couvrait d’applaudissemens. C’est probablement lui que Trollope a voulu peindre sous les traits du grand Boanerges, le président de congrès qu’il tourne en ridicule dans le célèbre roman d’Orley-Farm. Cependant l’occupation principale de Brougham en ces années de retraite a été de dégager parmi le monceau volumineux de ses écrits ceux qu’il souhaitait plus particulièrement soumettre au jugement de la postérité. Le résultat de ce triage a été la publication de onze gros volumes. Mathématiques, sciences naturelles, économie politique, philosophie, histoire, littérature, il n’a rien laissé de côté. Il est plus facile d’attester les merveilleuses ressources de son esprit par le témoignage de ses œuvres que d’en désigner quelqu’une à une admiration particulière. Sa traduction du Discours de la couronne et ses études sur l’éloquence des anciens ont mérité cependant les éloges de M. Villemain. On connaît peut-être davantage ses Vies des hommes d’état et des philosophes du temps de George III. Il a voulu faire entrer dans un cadre artificiel le tableau européen de l’époque qui comprend, avec la fin du XVIIIe siècle, les vingt premières années du XIXe, et il a groupé les grandes ombres de Voltaire, de Rousseau, de Frédéric le Grand et de Napoléon autour de la pâle figure de George III, un peu étonné de se trouver le centre d’un cycle aussi brillant. Ses études sur les hommes d’état et sur les écrivains étrangers à son pays ont plutôt diminué qu’agrandi la valeur de son œuvre, et il eût mieux fait d’ajouter quelques coups de pinceau aux portraits trop rapidement esquissés de Chatham, de Burke, de Fox et de Pitt. Toutefois la sobriété élégante de ces essais, qui contraste singulièrement avec la manière oratoire de Brougham, leur a valu un accueil favorable, et aujourd’hui encore on peut trouver à les lire intérêt et profit.

Brougham prolongea sa verte vieillesse jusqu’à un terme où il n’est pas donné à tous de parvenir. Devant ses yeux, de plus jeunes que lui rencontrèrent la mort sous le climat réparateur où il continuait de puiser la force et la santé. C’est à quelques pas de la villa Éléonore-Louise que Tocqueville est venu languir avant d’expirer, et que Cousin s’est endormi du sommeil qui pour lui ne devait point avoir de réveil. Rarement un hiver s’écoulait sans qu’il assistât de loin à quelqu’une de ces séparations dont la splendeur im-