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bizarre humeur fit plus de tort à Brougham que bien des fautes.

Durant les années qui suivirent, Brougham eut la mortification de voir se former deux administrations successives sans qu’on fît appel à son concours. De 1841 à 1846, il compta parmi les partisans de Robert Peel, bien que, par une bizarrerie dont lui seul était capable, il eût passé avec solennité des bancs du ministère sur les bancs de l’opposition lors de l’avènement des tories, de sorte qu’après avoir pendant quatre ans donné le spectacle étrange d’un orateur assis sur les bancs du gouvernement et parlant dans le sens de l’opposition, il allait pendant cinq autres années donner celui, non moins surprenant, d’un orateur assis sur les bancs de l’opposition et parlant dans le sens du gouvernement. Lorsqu’en 1846 lord John Russell succédait à sir Robert Peel, Brougham dirigea contre le nouveau ministère whig les mêmes attaques passionnées qui lui avaient permis d’ébranler celui de lord Melbourne, cherchant cette fois ses alliés parmi les protectionistes, dont il avait combattu les doctrines sous l’administration de Robert Peel. Néanmoins quand, après la démission momentanée de lord John Russell en 1851, le chef des protectionistes, lord Stanley, fit de vains efforts pour constituer une administration, aucune proposition ne fut faite à Brougham par celui dont il était l’allié depuis plusieurs années, et personne n’eut la pensée de s’en étonner. Cet oubli des hommes d’état et du public mit le sceau à la déchéance politique de Brougham. Lui-même en eut le sentiment, et à partir de cette date il prit une part beaucoup moins active aux débats politiques de la chambre des lords. Il ne devait guère y apparaître désormais que comme un orateur dilettante dont l’unique souci est de faire montre de ses talens, attaquant tantôt lord Palmerston et tantôt lord Derby, tantôt la Prusse et tantôt l’Autriche. Disons toutefois qu’au travers de toutes ces inconséquences, sur le détail desquelles il serait fastidieux de s’appesantir, la contradiction d’opinions entre les premières et les dernières années de Brougham est moins choquante qu’on ne pourrait le croire. A l’exception de ses théories économiques, qu’il modifia dans le sens de l’expérience et de la vérité, il conserva jusqu’à la fin de sa vie sur les questions abstraites de la politique les mêmes idées qu’il avait professées au début. Il avait plus de logique dans l’esprit que dans le caractère, et il a été plutôt infidèle à ses amis qu’à ses principes. Whig il avait commencé, whig il a fini, si l’on veut bien entendre par ce mot non pas une désignation étroite de parti, mais un certain ensemble de doctrines résolument libérales, hardies sans témérité, fermes sans violence, qui sont de tous les pays, et dont l’application pratique serait aujourd’hui l’unique salut de notre chère patrie.

Les dernières années de Brougham appartiennent à la France