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drit les malignes voleuses, qui s’engagèrent à lui faire retrouver le grand sceau, s’il consentait à le chercher les yeux bandés dans le salon. Les détails de l’aventure, commentés et transfigurés par la malveillance, parvinrent aux oreilles du roi et achevèrent de l’indisposer contre Brougham. « Le lord chancelier est fou, dit-il plusieurs fois; du reste, il en a déjà donné les preuves. »

Brougham revint à Londres sans se douter de l’orage qui s’était formé derrière lui. Le lendemain du jour où il avait tenu à la cour de chancellerie sa première audience, il apprit en quelque sorte avec le public que le roi venait de signifier à lord Melbourne son renvoi et celui de ses collègues. L’impatience que les dernières excentricités du chancelier avaient causée à Guillaume IV était pour beaucoup dans cette brusque détermination. Quand Brougham sut que la fin de son règne ministériel était arrivée et que lord Lyndhurst allait recevoir le grand sceau, il écrivit à ce dernier pour lui demander de le désigner pour le poste alors vacant de lord chef baron de la cour de l’échiquier. A l’appui de cette singulière requête adressée à un ennemi politique, il faisait valoir l’intérêt de l’état, alléguant que les appointemens de lord chef baron étant inférieurs à la pension d’ex-chancelier, il en résulterait une économie notable pour le budget. La raison ne fut pas trouvée suffisante par les amis politiques de Brougham, et devant la vivacité de leur blâme il dut retirer sa demande. Le cri public qui s’éleva contre lui à cette occasion fut si fort qu’il alla chercher un peu de répit à Paris. Plusieurs personnes qu’il fréquenta pendant son séjour en France furent alors frappées du désordre de sa conversation et de la surexcitation de son esprit. Il revint bientôt pour prêter un vigoureux appui à ses collègues dans la lutte qu’ils se préparaient à soutenir contre l’administration formée par Peel et Wellington. Le combat fut court. On sait qu’au bout de cent jours l’hostilité de la chambre des communes contraignit Peel à descendre du pouvoir. Le roi fit de nouveau appeler lord Melbourne, et Brougham eut de justes raisons de croire qu’il allait de nouveau s’asseoir triomphalement sur le sac de laine.

Mais nous sommes arrivés au moment où Brougham va porter la peine d’avoir froissé ses collègues, offensé le roi et indisposé contre lui l’opinion publique. Lord Melbourne était parfaitement déterminé à ne jamais admettre Brougham dans un cabinet dont il aurait la présidence. « Nous pouvons, à la rigueur, marcher sans lui, disait-il; nous ne pouvons marcher avec lui. » Tel est du moins le propos que lui prête Campbell, à qui on peut se fier dans cette conjoncture, car il avoue avec ingénuité n’avoir rien épargné pour se faire attribuer la place de Brougham, dont il n’avait cependant