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pelait avec une abondance minutieuse une foule de détails qui ne laissaient aucun doute sur la nature coupable des relations de Caroline et de Bergami. Quand Brougham se leva pour l’interroger, il commença par lui poser avec une indifférence apparente quelques questions qui avaient trait à des faits d’une importance secondaire. « Je ne me souviens pas, non mi ricordo, » fut la réponse de Majocchi. Brougham insista et se mit à l’interroger sur des circonstances à lui personnelles dont il était impossible d’admettre qu’il eût perdu le souvenir. Non mi ricordo fut encore la réponse de Majocchi. Plus Brougham le pressait, plus le trouble du misérable devenait évident, plus il répétait avec angoisse : Non mi ricordo. L’interrogatoire finit par dégénérer en comédie, et personne ne put douter que Majocchi n’eût appris une leçon par cœur. Il en fut ainsi de presque tous les autres témoins. Mlle Denmont, la femme de chambre de la reine, déposait avec une vertueuse horreur des spectacles auxquels elle avait assisté, et appelait la maison de la reine une maison de prostitution. Brougham lui démontra par des lettres écrites de sa main que, chassée de cette maison, elle avait humblement demandé à y rentrer, et qu’elle avait travaillé ensuite à y faire recevoir sa jeune sœur, âgée de dix-sept ans. D’autres témoins furent convaincus par lui d’avoir reçu, pour venir en Angleterre, des sommes énormes constituant une véritable fortune. Durant plusieurs nuits consécutives, Brougham dirigea tous ces interrogatoires avec autant de présence d’esprit que de succès. Aussi, quand il commença son plaidoyer, sa cause était-elle plus d’à moitié gagnée. Il s’en fallait encore de beaucoup que l’innocence de Caroline fût clairement démontrée; mais la corruption des témoins était si évidente qu’une condamnation juridique devenait bien difficile.

Il y avait déjà longtemps que Brougham travaillait à ce plaidoyer célèbre qui devait mettre le sceau à sa réputation. Personne ne redoutait moins que lui de se livrer aux hasards de l’improvisation; mais il savait aussi, comme tous les grands orateurs, donner à ses inspirations premières le fini de la correction et du travail. Il se vantait lui-même d’avoir écrit dix-sept fois de sa main la péroraison. Ce plaidoyer, fruit de tant d’études, tint jusqu’à deux séances de la chambre des lords. Il excita chez les contemporains des transports d’admiration, et aujourd’hui même que l’intérêt de la cause a complètement disparu, on ne peut en méconnaître l’habileté, la verve, la puissance, n’en déplaise à lord Campbell, qui, systématiquement sévère pour l’éloquence de Brougham, qualifie ce plaidoyer de lourde et insipide déclamation. Bien qu’il soit aisé d’en détacher nombre de passages remarquables, nous nous contenterons de citer les dernières lignes de la péroraison, parce qu’elles sont