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élevé par intervalles au premier rang sans s’y asseoir pour toujours, qui s’est distingué dans les sciences presque autant que dans les lettres, et qui, après avoir joui d’une célébrité européenne, est mort sans laisser ni une œuvre achevée ni peut-être un renom durable. Campbell demeurera notre guide dans cette étude; mais nous ne le suivrons point à l’aveugle, et nous essaierons de faire la part du vrai et du faux dans ses appréciations.


I.

Henry Brougham naquit à Edimbourg le 19 septembre 1778. Il était cependant non pas de race écossaise, mais d’une ancienne famille du Westmoreland, moins ancienne, à vrai dire, qu’il ne s’imaginait, car, s’il prétendait descendre des barons normands de Burgham, cette origine est toujours demeurée au moins problématique. Une aventure romanesque avait fixé son père à Edimbourg. Passionnément épris de la nièce de l’historien Robertson, sous le toit de laquelle le hasard l’avait conduit, il dut, pour obtenir l’amour de sa fiancée, faire le sacrifice de sa patrie, et s’engager sur l’honneur à ne jamais retourner en Angleterre. Le père de Brougham tint son serment à la lettre, et il ne repassa jamais la frontière d’Ecosse, sans que cet exil lui causât trop de peine. Il est certaines villes auxquelles on s’attache comme à un être aimé et dont le charme vous enlace au point qu’en s’éloignant on sent se déchirer quelques fibres du cœur. On connaît l’aventure de M. d’Agincourt, qui, étant venu à Rome pour quinze jours, y est demeuré le reste de sa vie, et il fallait entendre M. Ampère contant cette histoire avec complaisance sur les lieux mêmes. La cité romantique que les poètes appellent la pâle Edina, et les pédans l’Athènes du nord, a fait naître des tendresses non moins profondes. Walter Scott déclarait que, pour voir se lever et se coucher le soleil, pas un endroit n’était comparable à ces rochers du Mont-Arthur où il venait égarer ses jeunes rêveries. Brougham ne devait cependant point hériter des sentimens de son père pour l’Ecosse; jeune encore, il l’abandonna sans regrets, et bien qu’il en eût conservé l’accent guttural, il ne se faisait point faute de railler cet accent et de parler des Écossais en des termes que leur amour-propre national, le plus inflammable qu’il y ait au monde, à en croire Johnson, devait vivement ressentir.

Brougham avait seize ans quand, après une enfance studieuse, il fut inscrit en qualité d’étudiant sur les registres de l’université d’Edimbourg. Cette université, qui n’a pas aujourd’hui la célébrité européenne d’Oxford et de Cambridge, était alors à l’apogée de sa réputation. Les hommes de génie qui avaient fait la gloire de l’Ecosse