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sée maîtresse de l’ouvrage. Tout y est un peu dans tout, c’est le défaut capital du livre. Pourtant il est possible d’en dégager les trois choses qui constituent une doctrine, à savoir, une méthode, un principe et une conclusion,

La méthode est celle de tous les spiritualistes plus ou moins mystiques : chercher le divin, le parfait, l’absolu, non dans la nature qui n’en laisse voir que les apparences, mais dans la conscience qui le révèle dans son intime essence. Aussi voyons-nous l’auteur tourner le dos au spectacle des choses sensibles, passer à côté des spéculations transcendantes, pour se retirer dans le for intérieur, au foyer même de cette lumière qui éclaire toutes les parties du monde moral. Avec cette méthode, l’auteur pénètre au fond de la nature humaine, et croit en saisir, au-delà de la pensée, au-delà de la volonté, l’acte le plus intime, acte vraiment supérieur et divin, l’amour, dont il fait le principe même de toute sa doctrine. Enfin, le principe trouvé, il conclut en montrant comment il est possible d’y rallier et d’y réconcilier toutes les grandes doctrines philosophiques et religieuses auxquelles Platon, Aristote, Descartes, Malebranche, Leibniz, Maine de Biran ont attaché leur nom. Telle est en substance la doctrine de ce livre essentiellement mystique.

Nous disons mystique et non simplement sentimental. L’auteur sait et comprend trop bien la philosophie, en ce qu’elle a de plus élevé et de plus profond, pour s’être arrêté à ce mysticisme qui est la négation de toute science et de toute raison. Sa doctrine se rattache à la forte tradition spiritualiste dont le beau rapport de M. Félix Ravaisson est la dernière, la plus substantielle et la plus lumineuse expression. L’amour y explique tout, depuis les mouvemens les plus élémentaires et les plus aveugles en apparence de la nature jusqu’aux actes les plus réfléchis et les plus libres de l’humanité. C’est par l’amour que la nature engendre, que l’homme agit, que Dieu crée. Il n’y a d’autre différence entre toutes ces œuvres que de la nécessité physique à cette nécessité supérieure qui n’exclut pas la liberté, dans la tendance invincible de l’être intelligent et volontaire au bien,

M. Lefranc ramène toutes les difficultés de la théodicée au problème de la création. C’est ce problème qui, non résolu ou mal résolu, ouvre la porte à l’athéisme et au panthéisme, deux doctrines également antipathiques à l’orateur. Sans être absolument neuve, sa démonstration de la création mérite l’examen. Elle se résume en ce simple raisonnement : la matière ne peut être conçue que dans l’espace; or l’espace peut être conçu sans la matière; donc la matière peut être conçue non existante. Toute la doctrine de la création est là. Si la matière peut être conçue comme non existante, elle n’a donc pas son principe d’existence en elle-même, toute existence contingente supposant une existence nécessaire. Quant à la manière dont cet être nécessaire crée la matière, l’auteur