Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/791

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que M. Thiers, le ministère ne pouvait évidemment accepter la position qui lui était faite par cet incident imprévu ; il ne pouvait accepter que la majorité du corps législatif, sur laquelle il est bien obligé de s’appuyer, fût considérée dès ce moment comme l’expression infidèle de l’opinion du pays. On ne discrédite pas soi-même l’instrument dont on est forcé de se servir. Quand on prononce de telles paroles, signifiant à toute une fraction d’un parlement son indignité, c’est qu’on a un décret de dissolution en main, c’est qu’on veut en appeler immédiatement au pays, et l’honorable M. Thiers lui-même ne paraissait pas aller jusque-là, il ne se prononçait pas pour la dissolution immédiate. Le ministère était donc fondé à prendre cette position distincte et indépendante où s’est placé M. Ollivier en déclinant toute solidarité, en déclarant que le cabinet appelait le concours de tous, qu’il n’acceptait la protection de personne. Et d’un autre côté, à quel propos M. Thiers prenait-il à partie la majorité en lui rappelant son origine officielle, ses médiocres sympathies pour les libertés nécessaires ? Justement à propos d’une question où la majorité a des tendances plus libérales que l’illustre défenseur des idées protectionnistes, tant il est vrai qu’un moment d’impatience avait mis tout le monde hors de sa place et créé une certaine confusion qui se reproduira peut-être plus d’une fois encore !

Quant au fond même de ce débat, tout est réglé aujourd’hui par le vote du corps législatif. La question était d’ailleurs tranchée d’avance par la nature des choses. Les protectionistes s’étaient placés dans une situation où ils devaient être vaincus. La proposition d’une enquête parlementaire acceptée par tous excluait la dénonciation immédiate du traité de commerce. Les protectionistes l’entendaient tout autrement et d’une assez étrange façon. Ils voulaient que sans plus tarder le traité de commerce fût dénoncé, et que l’enquête se fît ensuite pour justifier leurs idées et leurs plaintes. C’était par trop illogique. Il était trop facile de leur objecter que, puisqu’on allait interroger le pays, il fallait au moins attendre la réponse, que si la révolution commerciale de 1860 avait été un bouleversement pour l’industrie par la façon dictatoriale dont elle s’est accomplie, ils proposaient justement la même chose, c’est-à-dire un bouleversement sommaire des intérêts dans un autre sens. L’enquête tranche tout en appelant le pays à se prononcer lui-même sur son régime économique. Elle justifiera, nous n’en doutons pas, les idées de liberté commerciale qui ne peuvent rétrograder au moment où les idées de liberté politique font leur chemin. En somme, elle ne pourra pas prouver que la production française ne s’est pas singulièrement accrue suus le nouveau régime. On peut accumuler des chiffres, établir des proportions et des progressions, porter à la tribune les plaintes de quelques industries ; le résultat dans son ensemble est loin d’être défavorable. La liberté a pour elle non-seulement les intérêts dont elle a