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tude. Depuis un mois qu’il existe, il a fait acte de vitalité et d’ascendant. Si d’une main il a sauvegardé la paix publique un instant menacée par les agitateurs, il prouve chaque jour d’un autre côté qu’il est parfaitement résolu à remettre en vigueur toutes les conditions pratiques d’un régime libre, à réaliser toutes les réformes qui peuvent assurer la sincérité de ce régime. Circulaires et projets ne manquent pas. On s’occupe un peu de tout à la fois, de l’abrogation de la loi de sûreté générale, de la modification du système de nomination des maires, d’une loi nouvelle sur la presse rétablissant la compétence du jury. Rien de mieux. Il y a évidemment beaucoup à revoir et à réformer dans la législation politique. Il faudrait seulement faire attention de ne pas se perdre dans un tourbillon et de ne pas prendre pour de véritables progrès ce qui traîne dans tous les programmes politiques. C’est une tradition, nous le savons bien, de demander pour les journaux le jugement par le jury. On croit avoir tout dit quand on a invoqué le jury. La vérité est que rien n’est plus difficile à faire qu’une loi sur la presse, et une question de juridiction ne change rien. Mieux vaudrait probablement s’en tenir au système que M. Émile Ollivier proposait il y a deux ans, et qu’il reprend à demi dans une circulaire récente aux procureurs généraux ; ce système consisterait à restreindre les délits de presse à ce qui est spécialement de droit commun et à laisser par cela même ces délits sous la juridiction de droit commun. On veut séparer la justice de la politique, c’est la meilleure des pensées, et on ne remarque pas que c’est précisément par le jury qu’on arrive à les confondre. Bien plus, c’est une justice politique livrée à peu près au hasard. Si le hasard met dans un jury une majorité favorable aux opinions de l’écrivain poursuivi, l’acquittement est inévitable ; si la majorité est dans des opinions contraires, la condamnation est tout aussi vraisemblable. Ce sera une justice rendue quelquefois sous la pression des circonstances, se ressentant d’une passion du moment. Qui fera avec sûreté la distinction entre l’adversaire et le coupable ? C’est assurément une médiocre garantie. Si on veut faire quelque chose d’utile et de salutaire pour la presse, on a un moyen tout simple : qu’on supprime cette obligation de la signature qui a été imaginée un jour dans les intentions les plus droites sans nul doute, mais qui a contribué plus que tout le reste à dénaturer la presse en l’atteignant dans son caractère collectif. On a encouragé l’amour fiévreux du bruit, on a favorisé les exhibitions fantasques, et en définitive c’est la presse elle-même qui a été atteinte dans son indépendance et dans son crédit : voilà tout. C’est aussi grave pour la presse que la question du jury.

Le danger serait de trop encombrer cette renaissance de vie constitutionnelle, de vouloir tout faire à la fois, et de le faire sans règle, avec cette impatience qui saisit les nouveaux émancipés ; le gouvernement