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mande, minutieuse, froide, impassible en apparence, n’en est pas plus exempte que d’autres. Nos jugemens sont relatifs, les préventions se dissipent lentement.

Les petits bronzes de M. Barye, portés à bas prix dans toute l’Europe, y ont réveillé un certain goût pour la sculpture moderne en des pays qui ne la connaîtraient point, s’ils n’avaient pu les acheter. Ils ont chez nous moins excité les convoitises des amateurs. La vogue n’est pas là pour le moment ; la recherche du bric-à-brac de l’hôtel des ventes accapare le marché ; on paie volontiers des sommes exorbitantes pour des aiguières de faïence dont l’engouement passera demain. Qui peut mesurer ce que nous avons perdu à cette indifférence ? qui peut mesurer ce qu’y a perdu M. Barye lui-même, forcé de s’attarder à telle œuvre dans laquelle il a peu de chose à apprendre et à exprimer ? La France, à qui il reste aussi à apprendre et à oublier, ainsi que le déclare un écrivain anglais en parlant de M. Barye, aura peut-être un jour regret de l’abandon dans lequel elle l’a longtemps laissé. Nous n’avons point en vue en ce moment ni les débuts malaisés, ni cette période où la difficulté de vivre se compliquait de celle d’avoir un maître. Nul ne doit rien à qui n’a point lutté et produit ses preuves pour justifier la sympathie. Celui-là avait fourni des témoignages de toute sorte. Peu souple et pourtant si divers, ce dessinateur, ce fondeur, ce ciseleur, ce topographe, cet anatomiste, ce statuaire d’hommes et d’animaux, cet aquarelliste, ce peintre de portraits, — car il a peint aussi sur toile, non sans style et sans éclat, les images de quelques-uns des siens, — cet artiste enfin, supérieur en tant de genres, s’est livré à une besogne écrasante pour tant d’autres et souvent ingrate. Cet orfèvre s’est débarrassé d’un faire mesquin et un peu précieux ; ce sculpteur des bêtes, avec lesquelles on l’avait « relégué, » — c’est lui qui parle ici, — s’est trouvé propre à reproduire les traits des césars. Il a su rendre la beauté féminine, tendre et chaste dans l’Angélique aux yeux humides et dans des figures de candélabres.

Il a été quelquefois antique par le calme, par la précision et la fermeté de la main, plus souvent moderne par l’amour du drame et du pittoresque. Solitaire, peu causeur, peu discipliné, tenant peu de place et faisant peu de bruit, philosophe pénétrant, singulier mélange du citoyen de Sparte et de celui d’Athènes, il a permis aussi parfois qu’on l’oubliât. Il a peu de chose au Luxembourg. Pourtant les morceaux honnêtes, médiocres, abondent dansée musée, d’où ils partent pour enrichir, — c’est le mot consacré, — nos galeries de province. Une autre réflexion nous vient à l’esprit. Pourquoi un statuaire de cette valeur a-t-il besoin de vivre longtemps pour faire violence à la renommée et pour la conquérir ? Rappelez--