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pouillé le vieil homme. Il était cependant sur le chemin de la renommée. Un instant il fut question pour M. Barye d’une commande qui eût attiré sur lui tous les regards. Il s’agissait de décorer le sommet d’un édifice qui attendait alors son couronnement, et qui, nous l’espérons, l’attendra toujours. L’arc de l’Étoile, cette porte ou cette arche immense ouverte sur le vide, à la suite d’une voie triomphale, ce monument qui devait être élevé à la nation armée et qui ne raconte guère que les gloires d’un seul en dépit du bas-relief de Rude, semblait à quelques-uns demeurer incomplet. Il appelait quelque chose, un char, des chevaux, des victoires, que sais-je ? le fond banal de l’allégorie que nous avons tant de peine à jeter au rebut. Des bruits de ruptures diplomatiques circulaient, venant on ne sait d’où. La France était lasse de la paix, suivant les uns ; suivant d’autres, elle s’ennuyait. Une aspiration, un souffle de guerre, passaient au-dessus d’elle comme un vent d’orage. On n’eût pas osé surmonter l’Arc-de-Triomphe du vieux coq gaulois. M. Barye proposa l’aigle, symbole alors vivant, en qui se résumaient les rancunes mal apaisées. Était-ce bien ce qu’il fallait ? L’aigle eût sans doute été de mise, si les animaux eussent tenu plus de place dans la décoration, si l’on eût adopté des projets tels que celui de Rude, qui proposait pour thème, au lieu de la Résistance, que nous devons à M. Étex, la Défaite ou la Déroule de Russie, personnifiée par nos soldats se retirant au milieu des neiges devant des loups qui les poursuivent. Il n’en fut pas ainsi. M. Barye commença l’esquisse. L’oiseau de proie, aux ailes éployées, enlevait son butin, les dépouilles ou les trophées des peuples, des villes, des royaumes, les lances, les boulets, les canons, les drapeaux, les clés. Quatre figures de prisonniers, dont la silhouette se profilait sur l’azur, chantaient l’éternel « malheur aux vaincus. » Peut-être cela ne servait-il qu’à ranimer gratuitement des sentimens qu’il faut éteindre. Peut-être même n’était-ce pas se rendre un compte exact du rôle final qui nous était échu, ni de nos revers. Toujours est-il que ces velléités militaires disparurent. Les haines entre voisins ne furent pas rallumées. Quelques-uns crurent, sur la foi d’un faiseur de mots facétieux d’alors, que le vent serait un obstacle à la stabilité de cet aigle d’airain, — qu’il soulèverait, qu’il enlèverait ce morceau de métal de plus de 50 pieds de long. L’édifice ne fut pas couronné.

Nous ne nous en plaignons pas. Nous ne tenons pas pour suspect d’insuffisance le modèle de M. Barye, nous ne refusons pas de l’accepter pour un des meilleurs qui puissent être offerts ; mais nous dirons que le meilleur ne vaut rien pour cet usage. L’Arc-de-Triomphe, qui, dans sa massive ordonnance, est un des monumens les plus imposans de cette époque, ne nous paraît pas avoir besoin de rien