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LA LIBERTÉ DE L’ENSEIGNEMENT.


sur mes établissemens d’instruction supérieure, quand j’avais le monopole de l’enseignement. En renonçant à mon privilége, j’ai du même coup renoncé à mon contrôle. Je ne suis plus l’état enseignant ; je rentre dans la vérité de mon rôle, et je dis à toutes les opinions scientifiques : Produisez-vous en liberté, faites de la propagande, disputez, luttez, triomphez, si vous pouvez ; je n’interviendrai que le jour où vous aurez outragé la morale ou violé la loi. »

Ce ne serait point assez de tenir un pareil langage, il faudrait encore que les actes répondissent aux paroles, et si l’on a pu dire avec raison que l’Université était prête à entrer en lutte avec le clergé, il resterait encore à régler les conditions du combat. Or tant que l’Université demeurera soumise, même indirectement, à l’action du clergé, ces conditions ne sauraient être égales. Tant que la loi reconnaîtra au prêtre dans l’école, à l’évêque dans le conseil départemental ou dans le conseil académique, un droit de surveillance sur l’enseignement universitaire, tant qu’on n’aura pas séparé d’une façon définitive l’école et l’église, l’Université sera en droit de refuser la lutte. La séparation de l’église et de l’école ne serait au fond qu’un acheminement vers la séparation complète de l’église et de l’état. Peut-être ceux qui réclament si vivement la liberté de l’enseignement supérieur n’ont-ils pas mesuré toute la portée d’une pareille demande. Peut-être ne se doutaient-ils pas que le jour où le parti libéral accepterait de comprendre dans son programme la liberté de l’enseignement supérieur, il y mettrait comme une conséquence immédiate la sécularisation de l’enseignement à tous les degrés, et comme conséquence moins rapprochée, mais tout aussi nécessaire, la rupture des liens fragiles qui rattachent l’état à l’église. Si l’on avait envisagé la question à ce point de vue, la partie conservatrice du corps législatif ne se fût peut-être pas aussi facilement engagée ; elle eût reculé devant les graves complications qui vont surgir. Peut-être cherchera-t-elle encore à revenir sur ses pas ; mais il est trop tard, le débat va s’ouvrir : on ne le rabaissera pas, quoi qu’on fasse. Aussi bien le moment ne nous paraît point mal choisi pour aborder ce grave problème de la séparation de l’église et de l’état. En présence des incroyables prétentions que la cour de Rome est en train d’afficher à cette heure même, personne ne s’étonnerait que les pouvoirs publics songeassent à une révision du concordat et des articles organiques. Il ne faut pas espérer que cette révision puisse s’accomplir avant qu’il soit longtemps, mais il y aurait lieu de s’applaudir si les discussions qui vont s’ouvrir devaient permettre aux partisans de l’église libre dans l’état libre de se compter.

Albert Duruy.