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lieutenans ; auprès d’eux, il a institué le conseil académique, chargé de donner son avis sur toutes les questions de discipline et d’enseignement, le conseil académique, où pas un professeur n’entre, où l’enseignement n’est représenté que par les doyens de facultés qui tiennent leur nomination du ministre et non du libre suffrage de leurs collègues. C’est ainsi que s’est constituée, en dehors de l’université qui enseigne, cette seconde université qui administre et qui réglemente, inférieure quelquefois par le talent et par le savoir, supérieure toujours par la hiérarchie. Ainsi s’est établie entre l’administration et l’enseignement cette déplorable confusion qui a tant contribué à éloigner de l’Université les talens originaux qui ont besoin de liberté pour se développer[1].

De tous les défauts du monopole universitaire, celui qui frappe le plus, c’est l’étroitesse du cadre où l’enseignement officiel a été enfermé. Dans les universités allemandes, le nombre des professeurs varie à la fois selon les besoins de la science et le nombre des savans ; il y a autant de professeurs qu’il y a de branches de connaissances et d’hommes capables de les enseigner. Nos facultés au contraire ont un nombre déterminé de chaires, et pour remplir ces chaires une seule catégorie de professeurs, les professeurs titulaires. En Allemagne, nous avons vu qu’il y avait trois ordres de professeurs, les ordinaires, les extraordinaires et les privat-docenten. Ces derniers peuvent enseigner toutes les matières qui appartiennent au domaine de la faculté où ils ont pris leur titre de docteur dès qu’ils ont obtenu du sénat la venia docendi[2], et cette autorisation ne leur est jamais refusée, alors même qu’ils se proposent d’enseigner les mêmes matières que le professeur ordinaire. Qui ne voit combien cette organisation est préférable à la nôtre, combien surtout elle eût été de nature à éviter tout prétexte aux exigences du parti qui réclame la liberté de l’enseignement supérieur ?

Quel est en réalité le grand argument que l’on fait valoir à l’appui de cette demande ? C’est un argument tiré de la liberté paternelle. Les pères de famille, dit-on, ne sont pas libres de choisir entre plusieurs enseignemens. Si l’enseignement donné par le professeur titulaire blesse leurs croyances, ils n’ont pas la ressource d’envoyer leurs enfans s’instruire ailleurs. Que répondre à cela ? Rien de sérieux. Le jour où l’état, absorbant les anciennes universités, s’est déclaré responsable de l’enseignement, l’a soumis à une surveillance et. emprisonné dans des programmes, il devait s’attendre qu’on viendrait lui demander compte de cet enseignement au nom d’une croyance

  1. Cette manie de réglementation a été poussée si loin à une certaine époque, qu’un décret de 1852 est intervenu pour transférer du recteur au ministre la nomination des appariteurs des facultés.
  2. M. Mommsen a été privat-docent à l’université de Zurich.