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LA LIBERTÉ DE L’ENSEIGNEMENT.


colléges, et elle se réserva toujours scrupuleusement la faculté exclusive d’en autoriser l’ouverture. Le premier collége établi par les jésuites à Paris, en 1562, fut longtemps sans pouvoir obtenir le plein exercice, et lorsqu’après avoir expulsé les jésuites une première fois on leur permit de rentrer en 1603, ce fut à la condition de « ne rien faire ni entreprendre contre la paix publique et le repos du royaume, et de n’ouvrir aucune école qu’en vertu d’une permission expresse. » On leur refusa le droit de préparer directement leurs élèves aux grades, et quand ils voulurent usurper ce droit, qu’ils prétendaient tenir d’une bulle pontificale, les parlemens intervinrent et provoquèrent par leur résistance une ordonnance royale de 1629 qui porte que « nul ne sera reçu aux degrés qu’il n’ait étudié l’espace de trois ans en l’université où seront conférés lesdits degrés. » Malgré ces restrictions et sous l’empire de causes qu’il serait trop long d’énumérer ici, le nombre des colléges de la société de Jésus alla toujours croissant au xviie et au xviiie siècle. Il y en avait cent vingt-quatre en 1762 quand la société fut dissoute. Il fallait s’occuper de réparer les vides produits par cette brusque mesure. De nombreuses ordonnances y pourvurent, et, pour la première fois, apparut nettement la conception d’un enseignement national sous la surveillance et l’autorité du gouvernement. C’est ce que Turgot voulait instituer, d’accord avec le parlement de Paris. La révolution ne lui en laissa pas le temps ; mais elle lui prit son idée, qui n’était elle-même que la suite et la conséquence nécessaire de la vieille maxime royale : « l’instruction dépend de l’état. » Or ce fut sur cette maxime que Napoléon établit l’Université. « Seulement à l’esprit de corps, toujours un peu étroit, dit M. Villemain, l’Université nouvelle, fondée sur une base plus large, celle même de l’empire, substituait l’impartialité de l’état. » Elle fut, selon M. Royer-Collard, « le gouvernement appliqué à la direction universelle de l’instruction publique ; elle eut le monopole de l’enseignement, à peu près comme les tribunaux ont le monopole de la justice, et l’armée celui de la force publique. » Il serait donc injuste de l’accuser d’avoir détruit le principe de la liberté d’enseignement et d’y avoir substitué le principe de l’autorisation préalable. Ce dernier principe était de droit monarchique, et l’Université en se l’appropriant ne fit que recueillir une tradition séculaire que la révolution elle-même avait respectée.

D’où vient que, moins de vingt ans après la fondation du corps qui semblait avoir réalisé dans sa vigoureuse discipline et sa forte hiérarchie une pensée constante de la monarchie de droit divin, ce corps était déjà en butte aux hostilités déclarées des partisans de la royauté légitime ? Comment l’Université se trouvait-elle si tôt menacée dans son existence, soupçonnée et dénoncée ? Et comment,