faire en route. Quand nous nous posons cette question en présence du poème l’Anneau et le Livre, quelle peut être notre réponse ? Si M. Browning n’a eu d’autre dessein que d’accumuler les péripéties d’un drame ordinaire et même commun par les tableaux qu’il fait passer sous nos yeux, poétique et intéressant par les analyses psychologiques, par les études morales qui rajeunissent les sujets vulgaires et donnent la vie aux réalités matérielles, il n’est pas resté au-dessous de sa tâche, et, quels que soient ses défauts, le succès de ce poème est avoué par le goût. S’il s’est proposé un autre but en dehors et au-delà de sa conception dramatique, nous ne sommes pas sûr qu’il y soit parvenu ; nous croyons même que cette seconde intention a compliqué son poème et favorisé la tendance naturelle de l’auteur à la prolixité. C’est ici le lieu d’expliquer le titre qu’il a donné au livre.
Un célèbre orfèvre de Rome, Castellani, a trouvé le secret de faire des anneaux qui provoquent en ce moment la curiosité des étrangers : il mêle avec l’or un alliage qui permet, en donnant à une bague une excessive ténuité, de la tourmenter en tous sens et de la repousser en une infinité de fleurs et d’ornemens d’une merveilleuse finesse. Quand le marteau et la lime ont achevé leur œuvre, un acide approprié à la circonstance fait disparaître l’alliage : vous avez un anneau d’or pur chargé de ciselures délicates et cependant léger, friable comme ces bijoux étrusques découverts dans les fouilles et qui tombent en poussière si vous les touchez sans précaution. M. Browning a prétendu faire pour le meurtre de Pompilia ce que l’orfèvre ingénieux pratique tous les jours pour ses bagues : il a exhumé un livre contenant les débats de cette vieille affaire ; il a pensé qu’en y mêlant l’alliage de son imagination il en ferait une œuvre dramatique où son talent se répandrait en une foule de pages animées, pathétiques. Jusque-là tout va bien ; il est dans son droit, et il tient sa promesse. L’anneau poétique est achevé, il est brillant, et le métal précieux n’y fait pas défaut ; mais l’auteur croit avoir atteint à l’or pur, c’est-à-dire à la réalité. Il donne à la poésie cette prétention de discerner le vrai dans les cas où les jugemens humains ne sont arrivés qu’au doute, et il a entrepris de prouver cette thèse générale avec l’exemple d’un antique procès. Il se fait illusion. Où est l’acide qui dégagera de son œuvre la fiction poétique ? S’il l’avait trouvé, il aurait tout simplement anéanti son poème. Quand on voudra chercher la vérité, il faudra toujours laisser de côté l’anneau et revenir au livre. Il a beau se comparer au docteur Faust évoquant les morts, au prophète Elisée ressuscitant le fils de la Sunamite, c’est affaire à l’historien, non pas au poète, de découvrir péniblement, scrupuleusement, la vérité dans les cen-