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quels seule la langue maternelle peut se prêter. Chaque jour, l’abîme se creuse plus large entre l’élève et le maître ; chaque jour, celui-ci vient avec sa froide science, offrant des pierres au lieu de pain aux lèvres des affamés... Comme les prêtres, ces instituteurs sont ou des étrangers, des Allemands ouvertement ennemis de la nationalité à laquelle les élèves appartiennent, ou d’anciens membres de ce parti slesvig-holsteinois auquel le Danemark doit, pour une bonne part, ses malheurs. Ce qu’est d’ailleurs l’enseignement, on peut le deviner. S’agit-il de géographie et d’histoire, le Danemark n’est qu’un misérable pays qui vaut à peine d’être mentionné. On l’a puni de son vain orgueil et de la tyrannie qu’il exerçait sur les deux nobles duchés de Slesvig et de Holstein; il en est réduit aujourd’hui à deux ou trois îles et à un fragment de presqu’île qui devra naturellement bientôt échoir à la puissante Allemagne. Tous les héroïques souvenirs de la Scandinavie sont avec grand soin passés sous silence : il y faut substituer sans cesse l’éloge de la grande patrie germanique. »

Après l’église et l’école, les cours de justice; nos documens en font une étrange peinture. Entrez, disent-ils, au tribunal de la ville de Flensbourg, centre judiciaire important pour une grande portion du Slesvig septentrional. L’accusé y est le plus souvent obligé de recevoir les questions et de rendre ses réponses par l’organe d’un interprète; outre les dangers de confusion en de si graves circonstances, il est convaincu, à tort ou à raison, qu’aux yeux de ses juges la cause même de son premier embarras est un crime de plus. « Une moitié de la population du Slesvig en est réduite à ceci, que toute accusation doit être soutenue devant des juges qui ne savent pas la langue des accusés ou qui sont autorisés à faire comme s’ils ne la savaient pas. » Aux postes, aux douanes, aux chemins de fer, aux théâtres, partout, dans la zone intermédiaire où le mélange des deux langues offrait de faciles prétextes, et souvent même dans les districts tout à fait septentrionaux, comme à Haderslev, où le gymnase, tout danois, a dû devenir tout allemand, la langue nationale a été proscrite. Il y a bien une certaine presse qui a pu conserver le libre usage du danois, mais à la condition de répandre dans les campagnes du Slesvig les doctrines purement allemandes, le mépris et la haine du Danemark. Ajoutez un accroissement considérable de l’impôt direct, un système de patentes qui pèse sur les plus humbles métiers, et en tout une prédominance funeste, antipathique, menaçante, de l’ordre militaire sur l’ordre civil, un régime comme d’état de siège. Que l’article 5 du traité de Prague soit pendant quelques années encore laissé en oubli, et la résistance, espère-t-on, cessera d’elle-même par l’émigration et par l’épuisement.

La résistance légale du moins sera longue et opiniâtre, à en juger