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LES MIGRATIONS VÉGÉTALES.

monde végétal parfaitement limité. Jean-Jacques Rousseau, exilé volontaire dans la petite île de Saint-Pierre, au milieu du lac de Bienne, projetait une Flora petrinsularis. L’intérêt s’est accru quand on a comparé les flores insulaires avec celles des continens voisins, dette étude pleine d’enseignemens a été mêlée de surprises, et a soulevé des problèmes qui sont loin d’être résolus. On a vu que certains archipels, celui des îles britanniques par exemple, ne possèdent pas une seule espèce en propre ; toutes, excepté deux, se retrouvent sur le continent européen ; on en a conclu avec raison que ces îles avaient été peuplées par une grande invasion végétale semblable à celle des Danois et des Normands. D’autres archipels au contraire, les Canaries, Madagascar, les Gallapagos, ont une flore et une fau’ïie complètement différentes du continent le plus rapproché. Entre ces deux cas extrêmes, on a trouvé tous les degrés intermédiaires, et peut-être le lecteur nous saura-t-il gré d’entrer dans quelques détails sur ce sujet.

La flore des îles britanniques, avons-nous dit, est un prolongement de la flore européenne. Un naturaliste enlevé jeune à la science, qu’il honorait déjà, Edward Forbes, a le premier mis ce fait hors de doute. L’Angleterre et l’Ecosse furent d’abord colonisées par les plantes arctiques pendant l’époque glaciaire. — Le climat s’étant adouci, ces végétaux se réfugièrent dans les montagnes. Vint une époque où l’Angleterre était unie au continent ; ce qui le prouve, ce sont les forêts sous-marines qu’on observe le long des côtes d’Angleterre comme sur celles de France ; ce qui le confirme, c’est la faible profondeur du détroit, argument principal des partisans d’un tunnel international. L’Angleterre, à l’époque quaternaire, n’était donc qu’un promontoire de la France, comme le Finistère ou le Cotentin. Les plantes de la Picardie et de la Normandie l’envahirent et se propagèrent dans le Devonshire, le Cornouailles, et en Irlande, dans les comtés de Cork et de Waterford. Les mêmes espèces se retrouvent encore actuellement en France dans la presqu’île dont Cherbourg occupe l’extrémité.

C’est ainsi que les .Normands partirent jadis des mêmes rivages sous la conduite de Guillaume le Conquérant ; mais l’occupation végétale n’a pas dépassé le sud de l’archipel, et la rigueur du climat, qui n’arrête pas les hommes, a posé une limite infranchissable à l’invasion des plantes. Forbes énumère les espèces auxquelles on peut attribuer cette origine ; il les réunit sous le titre de type armoricain. Un autre courant plus puissant marchait parallèlement au premier ; il venait du nord de la France et de l’Allemagne. Ces plantes, au type germanique, ont occupé la plus grande partie de l’Angleterre, de l’Ecosse et de l’Irlande, comme les Saxons qui enva-