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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


Il fallait maintenant trouver un messager courageux et intelligent qui non-seulement portât les lettres, mais ajoutât tous les développemens oraux dont elles pourraient avoir besoin, un homme d’une fermeté éprouvée qui ne se laisserait ni intimider ni tromper, et il fit choix du prêtre Évéthius, qui vivait près de lui depuis son départ de Césarée. C’était un compagnon bien indispensable pour l’exilé, mais la cause était trop grave pour qu’il hésitât à se séparer de lui, du moins pour un temps, car Évéthius, après avoir remis les lettres, devait rapporter les réponses et lui rendre compte de ce qu’il aurait appris et observé. Celui-ci accepta sur-le-champ cette commission périlleuse et partit.

Comme le Péloponèse et l’Épire, où se dirigeait Évéthius, sont à la porte de l’Italie septentrionale, Chrysostome lui remit en outre deux lettres de remercîmens, l’une pour Vénérius de Milan, l’autre pour Chromatius d’Aquilée ; Évéthius devait les leur faire passer par quelque occasion qu’il ne manquerait pas de rencontrer sur les lieux. Quant à l’évêque de Rome, Innocent, Chrysostome jugea plus convenable, eu égard à la dignité de cet évêque, le premier de la chrétienté, et au zèle si particulier qu’il avait montré pour sa cause, de lui adresser directement une dépêche en Italie. Il fit partir à cet effet deux clercs, amenés à Cucuse par on ne sait quelles circonstances, le prêtre Jean et le diacre Paul. L’importance et le caractère original de cette dernière lettre exigent que nous en donnions ici un extrait de quelque étendue.

« Au seigneur Innocent, évêque de Rome, Jean, en notre sauveur, salut :

Si notre corps n’occupe qu’un point dans l’espace, notre cœur peut parcourir tout l’univers sur les ailes de la charité : c’est ce qui fait que, séparé de vous comme nous le sommes par une immensité de chemin, nous ne sommes pourtant point absent des lieux qu’habite votre piété ; chaque jour nous conduit en sa présence ; chaque jour, par les yeux de la charité, nous contemplons et votre force et votre sincère affection, et votre constance immuable, et cette grande, perpétuelle et inépuisable consolation que vous ne cessez de verser sur nous. Plus en effet les flots s’élèvent, plus les écueils cachés se multiplient, plus les vents se déchaînent, plus votre vigilance augmente. Ni la longueur de l’espace, ni l’intervalle du temps, ni les complications incessantes des événemens ne vous peuvent lasser, pareil aux bons pilotes qui ne sont jamais plus en éveil que lorsque le naufrage est menaçant. Voilà ce qui me comble de gratitude et me fait désirer de vous écrire souvent, comme un grand soulagement à mes souffrances ; mais aussi, par malheur, voilà ce que me refuse l’isolement de ce désert, où ne peuvent parvenir qu’à grand’peine, nous ne dirons pas les étrangers venus de