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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


nicie, et j’ai dit combien cette œuvre était difficile, soit par l’opiniâtreté des croyances païennes dans le cœur des habitans, soit par la mollesse des magistrats, qui ne se souciaient ni de se donner la peine d’une propagande officielle, ni d’exciter, par une tolérance trop affichée, des soulèvemens qu’il leur faudrait ensuite réprimer. Chrysostome, dès la première étape de son exil, avait organisé à Nicée, comme on l’a vu, une mission de moines et de prêtres dans le dessein de renouer à Tyr et à Béryte les fils de la propagande interrompue ; cette mission, malgré de généreux efforts, avait complètement échoué, en grande partie par le mauvais vouloir des évêques schismatiques de ces contrées, qui aimaient mieux laisser en paix les adorateurs d’Hercule et de Vénus Astarté que de devoir leur conversion à un exilé de la cour. L’héroïsme des démolisseurs de temples avait donc été paralysé presque partout par l’opposition des clergés locaux. Les pauvres moines n’avaient pas tardé à manquer de tout, et la charité n’y suppléait pas. Quand ils mouraient de faim, il ne manquait pas de prêtres schismatiques pour leur dire : « L’homme qui vous envoie ne peut rien pour vous ; il n’a pas une obole pour vous donner du pain, pas une ombre de crédit pour vous protéger dans vos expéditions ; vous n’êtes que des insensés qui vous offrez en holocauste à sa vaine gloire. » Ces propos et d’autres pareils ne laissèrent pas de décourager des gens dont le chef était un proscrit ; les marteaux leur tombaient des mains, et les païens les assommaient à leur tour. Les églises qu’ils commençaient à construire étaient rasées, les temples relevés tant bien que mal, et la Phénicie n’offrait plus qu’un triste spectacle de débris païens ou chrétiens ; Les anti-joannites triomphaient de la victoire des polythéistes.

Ces nouvelles, apportées à Cucuse par le prêtre Constance, qui, de refuge en refuge, avait pu y parvenir, poursuivi qu’il était par les espions et les sicaires de Porphyre, remplirent l’exilé de consternation. Le tableau de ces désastres lui navra le cœur. « Il faut y retourner, dit-il. au prêtre d’Antioche, il faut y retourner, coûte que coûte ! » Et, prenant une assez forte somme qu’il avait mise en réserve sur les aumônes qu’on lui adressait, il la lui remit. « Pars, ajouta-t-il, et ne crains rien des méchans ; voici ce qui peut pourvoir à l’œuvre de Dieu en beaucoup de choses. Que les moines désormais ne manquent de rien, qu’ils soient nourris comme dans leurs couvens, vêtus comme dans leurs couvens, et, puisque les souliers leur font défaut, qu’on leur en achète ; je veux qu’ils se trouvent aussi bien que dans leurs monastères ; je veux aussi qu’une partie de cet argent soit employée à relever les églises. » Constance était de la même trempe d’âme que son ami ; il n’hésita point à partir sur-le-champ, en dépit de ses propres dangers, pour prendre le commandement d’une nouvelle expédition. Vers le même temps, un ci-