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À cette heure, les artificieuses périodes d’une rhétorique décrépite ne vous servent de rien. Les rats ne se prennent point aux syllogismes, ils sautent par-dessus les sophismes les plus subtils.

Ventre affamé ne connaît que la logique de la soupe aux argumens de boulettes ; offrez-lui des raisonnemens de rosbif, avec des citations de saucisson.

Un poisson muet, à la maître-d’hôtel, sera mieux goûté de la bande radicale que Mirabeau et que tous les orateurs depuis Cicéron.


TÉLÉOLOGIE (FRAGMENT).

Dieu nous a donné deux jambes pour nous porter en avant. Il n’a pas voulu que l’humanité restât attachée à la glèbe. Pour être les esclaves du repos, il nous eût suffi d’un seul pied.

Nous avons deux yeux afin d’y voir clair. Un œil eût suffi pour croire tout ce que nous lisons. Dieu nous a donné deux prunelles pour contempler à notre aise ce monde qu’il a créé pour la joie de nos yeux. Encore, dans la rue, faut-il s’en servir afin qu’on ne nous marche pas sur les œils-de-perdrix que nous devons à nos bottiers.

Nous avons deux mains pour donner doublement, mais non pour prendre deux fois, pour entasser le butin dans des coffres de fer, comme le font certaines gens. N’ayons pas l’audace de les nommer ; nous les pendrions volontiers ; mais ce sont de si grands seigneurs, des philanthropes, des honorables, — quelques-uns nous protègent, et les chênes allemands ne sont pas le bois dont on fait des potences pour les riches.

Dieu ne nous a donné qu’un nez, parce que nous ne pourrions en fourrer deux dans un verre, et que le vin serait répandu.

Dieu ne nous a donné qu’une bouche, parce que deux seraient de trop. Avec une seule bouche, les mortels parlent déjà plus qu’il ne faut ; s’ils avaient deux gueules, ils bâfreraient et ils mentiraient double. A présent, quand il a la bouche pleine, l’homme est bien obligé de se taire ; s’il en avait deux, il mentirait encore en mangeant.

Nous avons reçu deux oreilles du Seigneur. Ce qui est beau surtout, c’est leur symétrie. Elles ne sont pas tout à fait aussi longues que celles dont il a pourvu nos braves camarades à poil gris. Dieu nous a donné nos deux oreilles pour écouter les chefs-d’œuvre de Gluck, de Mozart et de Haydn. S’il n’existait que la colique musicale… de Meyerbeer, une seule oreille suffirait amplement.

Lorsque ainsi je parlais à la blonde Teutelinde, elle me dit en soupirant : « Hélas ! vouloir approfondir les motifs du bon Dieu, critiquer notre créateur, c’est comme si le pot voulait en savoir plus long que le potier. Cependant l’on demande toujours : pourquoi ? lorsqu’on voit quelque chose qui est bête. Ami, je t’ai écouté ; tu m’as très bien