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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


lable fermeté, quelle hauteur de dédain, elle avait traité l’accusation, les accusateurs et les bourreaux quand elle avait été traduite devant le tribunal du préfet sous l’inculpation d’incendie. Cette audacieuse atteinte à l’honneur d’une telle femme avait appelé sur la courageuse diaconesse l’admiration du monde chrétien, et la renommée avait proclamé ses hauts faits jusqu’aux extrémités de l’empire. Dans les églises fidèles à l’orthodoxie, il n’était question que de sa gloire et de ses trophées, c’étaient les termes dont on se servait. Ce fut le bruit public qui informa d’abord Chrysostome de l’héroïsme de son amie, car, ainsi que nous l’avons dit, elle avait dédaigné de faire parade d’une conduite où elle ne voyait que le simple accomplissement d’un devoir. Et lorsque Chrysostome voulut la féliciter en employant ces mêmes mots de gloire et de trophées, Olympias le réprimanda. « Que me parlez-vous de gloire et de trophées ? lui avait-elle répondu, je suis aussi loin de tout cela que les morts le sont des vivans. » — « Quoi ! reprit Chrysostome dans la lettre que nous analysons, vous n’avez pas érigé des trophées à l’innocence des persécutés, vous n’avez pas remporté la grande victoire et ceint la couronne qui fleurit à jamais ! Vous êtes, prétendez-vous, aussi loin de ces trophées que les morts le sont des vivans : vos paroles ne me prouvent qu’une chose, c’est que vous savez fouler aux pieds tout sentiment d’orgueil ; mais l’arène arrosée de votre sang a eu pour spectateur la terre entière. — Vous avez été chassée de votre maison et de votre patrie, séparée de vos amis et de vos proches, vous avez connu l’exil et goûté chaque jour les amertumes de la mort, non pas que l’homme éprouve réellement plusieurs morts ; mais vous les avez souffertes dans votre cœur, et sous l’étreinte des adversités présentes, comme dans l’attente de celles qui menaçaient, vous avez rendu grâce à Dieu, qui les autorisait dans sa sagesse… »

Il ajoute cette magnifique comparaison à l’appui de son raisonnement : « Songez, ma chère et vénérée dame, que l’âme humaine se fortifie dans la lutte par les épreuves mêmes qui l’ébranlent. Telle est la nature des afflictions : elles élèvent au-dessus de tous les maux ceux qui les supportent avec calme et générosité. Les arbres qui croissent à l’ombre manquent de vigueur et deviennent incapables de produire de bons fruits ; ceux qui sont exposés à tous les changements de l’air, à tous les assauts des vents, à tous les rayons du soleil, sont pleins de force, se couronnent de feuilles et se couvrent de fruits, et ce sont les naufrages de la mer qui forment les marins… Dites-vous cela très fréquemment à vous-même ; ma très excellente Olympias, dites-le à ceux qui combattent avec vous ce magnifique combat. Loin de vous laisser décourager, ranimez les pensées des autres ; apprenez-leur à mépriser les vaines ombres, les