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conduit fatalement le serment, et comme je ne m’arrête jamais à mi-chemin, voilà jusqu’où j’irai, le cas échéant, si j’entre au corps législatif. » Depuis ce moment, M. Émile Ollivier a marché l’œil sans cesse fixé sur le même but. Ce but, il l’a poursuivi, naïvement peut-être quelquefois, dans tous les cas avec une indubitable loyauté et avec un talent d’orateur croissant ; il a eu une influence avérée sur des actes qui ont préparé la transformation parlementaire, et c’est ce qui explique comment il s’est trouvé plus que tout autre désigné pour le rôle qui lui a été confié le jour où il y a eu un changement radical de régime. M. Émile Ollivier était donc le promoteur naturel du premier ministère constitutionnel ; mais il est bien clair que seul il ne suffirait pas, et il a pu le voir lui-même à la différence d’impression causée par le premier ministère qu’il avait formé et par celui qui existe aujourd’hui. Et d’un autre côté ceux-là même qui ont accepté une part du pouvoir avec M. Émile Ollivier, ses collègues actuels, M. Daru, M. Buffet, M. Segris, sont des hommes qui inspirent une juste confiance à l’opinion. Ils ont donné tout de suite une tournure nouvelle à ce ministère, dans lequel ils représentent le poids et certaines traditions. Ces noms-là, si l’on nous passe ce terme, sont du lest dans un gouvernement. Ces hommes mêmes cependant auraient tort d’aspirer à un rôle exclusif qui les séparerait de M. Émile Ollivier. Seuls, livrés à leurs propres inspirations, ils seraient exposés à incliner un peu trop dans le sens de leurs opinions ; ils tomberaient peut-être du côté où ils penchent dans certaines questions. Voilà pourquoi nous disons que ces deux groupes, entre lesquels on se plaît à partager le ministère, sont également intéressés à vivre ensemble, à porter au pouvoir leurs qualités et leurs forces diverses. M. Émile Ollivier, en homme nouveau qu’il est, a l’instinct démocratique plus vif, et nous ne serions pas bien surpris que ce fût là le vrai lien entre le nouveau ministre de la justice et l’empereur ; c’est un libéral imprégné de démocratie. M. Daru, M. Buffet, sont des libéraux parlementaires posés, sensés, faits pour comprendre les nécessités modernes plutôt que pour les devancer. Les uns et les autres se complètent, nous le disions. Séparément, ils seraient affaiblis et peut-être impuissans ; unis, ils peuvent beaucoup pour cette acclimatation nouvelle des institutions libres : ils peuvent contribuer à enraciner la situation actuelle en maintenant intacte l’alliance qui les a portés au pouvoir, en évitant tous ces froissemens secondaires, ces disputes de prééminence, ces antagonismes intimes qui énervent les plus sérieuses combinaisons.

Les ministres du 2 janvier n’ont qu’à rester unis, ils auront du même coup évité un autre danger, ils seront d’autant plus forts devant le parlement. C’est là surtout que la moindre apparence d’un dissentiment intérieur peut devenir le signal d’une inévitable déroute. On ne peut pas se le dissimuler, le cabinet actuel est né beaucoup moins d’une mani-