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sions souvent irritantes. La première nécessité est de s’organiser, de s’affermir et de durer assez longtemps pour rallier la masse flottante du pays à un système précis et régulier de progrès libéral. Les difficultés ne lui manqueront pas ; elles peuvent venir de lui-même comme elles peuvent venir du corps législatif, si on n’y prend garde, si on laisse la moindre place aux fantaisies personnelles, aux rivalités mal déguisées, aux animosités mal contenues. La force du cabinet du 2 janvier est dans l’alliance des deux groupes libéraux qui se sont formés au sein du corps législatif depuis les élections ; mais c’est là aussi sa faiblesse, puisque le ministère est un composé d’élémens dissemblables qui ont eu quelque peine à se combiner au dernier moment, et, pour appeler les choses par leur nom, toute la question est dans la durée de l’union qui s’est faite entre M. Ollivier d’une part et de l’autre des hommes tels que M. le comte Daru, M. Buffet, M. Segris. Cette question est d’autant plus grave que les occasions de divergences sont inévitables, et que les grands politiques ne manqueront pas pour provoquer de leur mieux des dissentimens, pour susciter des ombrages et entretenir une sorte d’antagonisme, fondé peut-être sur des rivalités de prééminence. Là est le péril que le cabinet porte en lui-même, et c’est ce qui faisait dire que le ministère du 2 janvier était destiné à parcourir trois phases distinctes, une première phase de fusion sincère et complète, une seconde phase où l’un des deux élémens chercherait à absorber l’autre, une troisième période où un seul élément resterait le maître, après avoir éliminé son rival. Notre pensée, quant à nous, est qu’on doit s’en tenir à la première phase en se gardant soigneusement de glisser dans les autres, et que les élémens qui se sont alliés pour former le ministère doivent rester unis ; ils sont faits pour se compléter réciproquement, pour se prêter une force mutuelle, non pour s’exclure.

Que M. Émile Ollivier ait été spécialement chargé de la façon la plus constitutionnelle de recomposer le gouvernement, qu’il ait eu par conséquent une certaine initiative, une certaine action prépondérante dans la formation du ministère, rien n’est plus simple ; c’est la logique des choses, qui n’implique en aucune façon une prépotence blessante. M. Émile Ollivier était évidemment l’homme indiqué pour le rôle qu’il vient de remplir. Ce qui arrive aujourd’hui, il le prévoyait il y a douze ans, à sa première entrée au corps législatif, au moment de prêter serment à l’empire, et il peut être curieux, à la lumière des événemens actuels, de se donner le spectacle des sérieuses et honnêtes anxiétés qui l’agitaient alors : « Il n’est pas probable, écrivait-il à son père, que l’empereur fasse son acte additionnel, ce n’est cependant pas impossible. S’il reste dans son despotisme, rien n’est plus aisé que ma conduite ; mais, s’il se transforme, je suis obligé de l’aider, dût mon assistance consolider ce trône qui s’est élevé au milieu de nos imprécations. Voilà où