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précédé l’événement malencontreux et sinistre de ces derniers jours. Le cabinet nouveau, il est vrai, a bien eu quelque peine à naître. Ce n’est pas sans efforts qu’on est parvenu à fondre dans une même combinaison des nuances politiques diverses. Il y a eu des hésitations, des négociations, de piquantes péripéties. Quand tout semblait décidé, on se remettait à réfléchir. Le ministère s’est formé une première fois, il s’est décomposé aussitôt avant d’avoir une existence officielle, et il s’est reconstitué ensuite tout autrement qu’il n’était d’abord. M. Magne, l’ancien ministre des finances, qui paraissait devoir survivre à la crise, a fini par rester en chemin à la suite de réflexions fort honorables qui ont tout remis en question au moment décisif ; il tenait à ce que le centre gauche entrât au pouvoir, et le centre gauche lui a demandé son portefeuille. Tout cela est passé, et de cette diplomatie intime de quelques jours est sorti en définitive un ministère offrant de sérieuses garanties, réunissant les hommes le plus naturellement désignés pour cette œuvre de réintégration du régime parlementaire, MM. Émile Ollivier, Daru, Buffet, de Talhouët, Segris.

Au moment où cette combinaison semblait devenue impossible, elle a triomphé, parce qu’elle était la seule vraie, la seule efficace dans les circonstances actuelles. C’est le ministère de la fusion des deux centres, expression vivante de l’alliance des forces libérales et modérées par laquelle s’est accomplie cette révolution qui nous ramène au régime constitutionnel. Depuis qu’il est né, ce cabinet a été très diversement accueilli. Les uns se sont figuré que tout était perdu, qu’on allait à l’abîme révolutionnaire, parce que le centre gauche montait au pouvoir ; les autres ont pensé que ce n’était rien, que c’était tout au plus un premier pas dans une voie incomplètement ouverte ; ceux-ci ont l’air de se réfugier dans une bouderie sournoise ; ceux-là continuent plus que jamais de pratiquer leur système de violence acerbe et implacable. M. Raspail et M. Henri Rochefort trouvent que le ministère n’est pas sérieux ! C’est le conflit de toutes les impressions, de toutes les interprétations. Au fond et en dehors de toute appréciation de parti-pris, il n’est point douteux que dès le premier instant il y a eu dans l’opinion un mouvement sensible de confiance. Les esprits ont été instinctivement rassurés et satisfaits par un dénoûment dans lequel ils ont reconnu l’influence de la raison publique, et si à travers les confusions actuelles il y a un sentiment évident, c’est le désir sincère, anxieux de voir réussir ces dix hommes de bonne volonté mettant leurs efforts en commun pour réaliser un programme de « progrès sans violence et de liberté sans révolution, » pour replacer la politique française dans les conditions d’un franc et sérieux régime parlementaire.

Il aura beaucoup à faire certainement, ce ministère chargé de mettre un peu d’ordre dans nos affaires et de gouverner au milieu de discus-