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des propriétés analogues, et cela s’explique assez naturellement si l’on se rappelle que les houilles tirent leur origine de plantes enfouies depuis des milliers de siècles, de sorte que toutes les matières goudronneuses viennent d’une source commune. Le mode d’action de ces substances diffère de celui des composés chlorés en ce qu’elles ne détruisent ni ne transforment, comme ces derniers, les produits infects des fermentations spéciales ; elles se bornent à faire périr les fermens et à empêcher ainsi les fermentations, si elles sont employées en temps utile.

Le plus énergique des antiseptiques est l’acide phénique. Il a été extrait du goudron de houille pour la première fois par Runge, en 1834. Un éminent chimiste français, Laurent, que la mort a enlevé prématurément à la science, a plus tard étudié les propriétés chimiques de cette substance, qui a été successivement désignée sous une foule de noms plus ou moins appropriés : on l’a tour à tour appelée phénol, alcool phénique, hydrate de phényle, acide carbolique, spyrol, salicone et acide phénique ; cette dernière dénomination a prévalu. L’acide phénique est incolore et cristallisable, il brûle avec une flamme fuligineuse ; l’eau peut dissoudre jusqu’à un vingtième de son poids de l’acide pur, l’alcool le dissout en toutes proportions. C’est à cet acide que le goudron de houille doit en grande partie ses vertus antiseptiques bien connues.

Quoiqu’il n’ait qu’une acidité très faible, l’acide phénique à l’état pur exerce sur nos tissus une action corrosive spéciale et assez forte pour qu’on se soit cru autorisé à en faire usage pour la cautérisation des piqûres d’insectes et des morsures de reptiles qui introduisent dans l’économie animale des virus dangereux. Sur ce point les observations ne sont pas encore aussi nombreuses qu’on pourrait le désirer. C’est surtout comme moyen préservatif que l’acide phénique a été employé avec succès, car il détruit sûrement les végétaux rudimentaires et les animalcules microscopiques qui propagent les maladies infectieuses, et dont la présence est la principale cause de l’insalubrité de certains locaux. On l’emploie généralement à l’état de solution d’un demi à un centième dans l’eau. M. Lemaire conseille l’usage de l’eau phéniquée au millième comme boisson dans les temps d’épidémie et, dans les contrées marécageuses, soit pure, soit mélangée avec d’autres boissons. Des aspersions de vinaigre phénique servent à désinfecter l’air des salles de chirurgie. Les solutions aqueuses d’acide phénique au vingtième s’emploient dans le pansement des plaies de mauvaise nature. Le docteur Lemaire a mis à profit les vapeurs de cet acide pour détruire les germes ou spores qui flottent dans l’air autour des malades et qui transmettent à distance certaines maladies infectieuses. L’art vétérinaire