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Ainsi s’accomplit entre les deux règnes un échange perpétuel, et la vie préside à l’œuvre de la mort[1].

Pour pouvoir suffire à leur utile besogne, il faut que les cryptogames soient répandues dans la nature en quantités immenses, douées d’une énergie vitale extraordinaire et capables de croître et de se multiplier sur les substances les plus diverses. Rien n’égale en effet la variété, la puissance de reproduction, la diversité de caractères et d’aptitudes que présentent ces végétaux rudimentaires. La mer a les siens, et il s’y développe un nombre infini de végétations cryptogamiques, depuis la macrocystis pirifera, dont les expansions rubanées atteignent parfois une longueur de 500 mètres, jusqu’au protococcus atlanticus, tellement petit que plus de quarante mille de ces plantules peuvent tenir sur une surface de 1 millimètre carré. Malgré ses dimensions microscopiques, le protococcus étend sur des espaces de plusieurs kilomètres un rutilant tapis[2]. Certaines algues flottantes, — la sargasse ou raisin des tropiques, — recouvrent des étendues d’eau vastes comme des continens. Colomb, qui rencontra le premier une de ces immenses prairies flottantes, mit trois semaines à la franchir, craignant à chaque instant d’échouer sur les bas-fonds ou les récifs qu’il jugeait devoir servir d’appui à cette végétation marine. Ce que les anciens navigateurs appelaient la Mer des Sargasses porte deux massifs de ces algues dont Humboldt a déterminé la configuration par la comparaison attentive de journaux de bord anglais et français, et qui s’étendent l’un à l’ouest des Açores, l’autre entre les Bermudes et les îles de Bahama. Ils sont reliés par une bande transversale, et occupent en tout une superficie égale à environ sept fois celle de l’Allemagne. Que ces plantes soient nées aux endroits où elles végètent aujourd’hui, ou qu’elles aient d’abord poussé le long des côtes et, détachées par la mer, entraînées par le gulf-stream, soient venues s’arrêter dans les eaux relativement tranquilles de la Mer des Sargasses, il n’en est pas moins certain qu’elles vivent et prospèrent depuis des siècles sans autre nourriture que celle que leur fournit l’Océan. Elles puisent dans les flots et dans l’atmosphère les élémens indispensables à leur développement, et emmagasinent dans leurs tissus des corps, tels que l’iode et le phosphore, dont l’analyse chimique peut à peine découvrir quelques traces dans les eaux de la mer.

  1. Souvent deux ordres de fermens se succèdent pour achever la dissolution des débris organiques. Tant qu’il se dégage des produits alcooliques ou acides, les microphytes seuls sont à l’œuvre ; mais, dès que la fermentation devient putride ou ammoniacale, ce sont les microzoaires (monades, vibrions, bactériums) qui les remplacent.
  2. Voyez une intéressante notice du docteur Montagne Sur la rubéfaction des eaux, communiquée à la Société philomathique.