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D’un autre côté, il a surgi dans ces campagnes, depuis trente ans environ, une classe nouvelle qui chaque jour devient plus nombreuse et qui a d’autres habitudes, d’autres idées, d’autres convoitises : c’est la classe des journaliers. Ils habitent les villages ; ils louent leurs bras aux propriétaires, qui commencent à faire de la grande culture ou qui exécutent des défrichemens, aux communes ou à l’état, qui entreprennent de grands travaux. L’on ne se rend pas assez compte de la transformation qui s’est opérée dans notre siècle parmi les populations des campagnes sous l’influence de l’impulsion donnée aux travaux publics. Autrefois ni les gouvernemens, ni les provinces, ni les communes ne consacraient des fonds considérables à l’exécution des ouvrages de viabilité et de salubrité. Les voies de communication étaient peu nombreuses, l’on n’en créait guère de nouvelles ; elles étaient entretenues ou confectionnées par les riverains sous le régime de la corvée ou de la prestation personnelle. Aujourd’hui de toutes parts l’on construit des chemins, l’on creuse des canaux, l’on ouvre des routes ; les particuliers se lancent dans de grandes entreprises, des défrichemens, des irrigations, des desséchemens. Pour subvenir à toutes ces opérations, il est né une classe nouvelle d’ouvriers, les journaliers et les manœuvres ruraux. Cette classe, sans fixité ni cohésion, a été le plus souvent pour les populations des campagnes un ferment de dissolution, elle en a modifié les mœurs et les tendances, elle a répandu à la fois la démoralisation et le paupérisme. En Toscane, elle a pris des proportions considérables. M. Urbain Peruzzi s’en plaint hautement dans son intéressante étude sur le métayer toscan. Les habitudes religieuses, les convictions politiques, les traditions de famille, qui s’étaient conservées jusque-là dans le pays, sont atteintes et menacées par le développement de cette catégorie de travailleurs.

Une autre classe tend aussi à se constituer parmi les populations rurales des vallées de la Toscane. Un certain nombre de métayers, emploient maintenant leurs épargnes à faire le commerce. Ils achètent des grains, de l’huile, du vin, pour les revendre avec profit dans les momens de hausse. La spéculation, l’agiotage, pénètrent dans ces habitations autrefois si tranquilles. Phénomène inouï jusqu’ici, l’on voit des fortunes se former dans les mains de paysans. Ainsi la vieille égalité des conditions est prête à se détruire dans ces vallées. De cette classe jadis si compacte et si uniforme des métayers, l’on voit, se détacher en bas les journaliers, dont l’existence est instable et précaire, en haut les paysans commerçans et spéculateurs, qui s’élèvent sur les degrés de la fortune, et en acquérant la richesse perdent quelque chose de la naïveté de leurs mœurs et de l’immobilité de leurs idées.