Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/417

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la Toscane ; tant il est vrai que l’industrie matérielle d’un peuple se rattache par un lien étroit à sa puissance politique et à son essor intellectuel. Ici ce sont les beaux marbres ne Seravezza et de Carrara, qui ont éprouvé tant de vicissitudes et qu’actuellement d’innombrables scieries mécaniques taillent et coupent sans relâche ; ce sont les ardoises de Pomezzana, d’une belle couleur bleuâtre, qui font d’excellens dallages ; ce sont les pierres de Cardoso, vertes, schisteuses et réfractaires ; puis l’innombrable variété des métaux, des minerais de fer, de zinc, d’antimoine, de plomb argentifère, de cuivre gris et même des mines de mercure. Tous ces trésors ne sont pas encore mis au jour, beaucoup restent enfouis dans la montagne ; mais chaque année, à l’aide des capitaux italiens ou étrangers, on voit se fonder dans ces régions de nouvelles entreprises et l’activité industrielle s’y accroître. Ailleurs ce sont les papeteries qui dominent ; chaque jour il s’en élève quelqu’une, on en compte actuellement plus de cinquante, et l’on y fabrique en grand du papier pour l’exportation. Les jeunes filles y travaillent, même la nuit, sans se plaindre, sans réclamer l’introduction des règlemens sur les manufactures, à l’imitation des factory acts de l’Angleterre. Cet essor industriel favorise la culture et la petite propriété. L’industrie à moteur hydraulique a des accommodemens que n’a pas l’industrie à la vapeur : elle est moins régulière, elle présente chaque année des temps d’arrêt et une morte saison inévitable, dont l’ouvrier profite pour se livrer aux travaux agricoles ; toute la famille d’ailleurs y participe ; l’entretien du champ, c’est sa grande affaire, c’est son honneur, c’est son luxe. Souvent la femme manie la bêche et fait la récolte, les enfans ramassent et transportent le fumier, chacun selon ses forces apporte son contingent de zèle et de soins. On a dit que la petite propriété attire d’ordinaire moins de capitaux que la grande, cela est presque passé à l’état d’axiome ; ce n’est cependant pas une vérité absolue. Dans ces pays de montagnes et d’usines, une grande partie de la rémunération de l’ouvrier retourne à la terre ; pour agrandir ou embellir son bien, il n’est pas d’effort ni de privation qu’il ne s’impose. L’épargne ne se présente plus à lui comme une notion abstraite, une combinaison de chiffres, qui ne peut être saisie que par des intelligences cultivées et réfléchies ; elle s’offre sous une image palpable et attrayante, avec un résultat prochain et visible. S’il versait ses économies à la caisse d’épargne, le paysan toscan croirait se dessaisir de son bien et l’abandonner aux aventures ; du moment qu’il le confie à la terre, il a conscience qu’il s’enrichit, qu’il rehausse le niveau de sa famille. En distribuant des salaires relativement abondans, l’industrie a créé dans ces montagnes la petite propriété ; la petite propriété à son tour, comme par un mouvement de reconnaissance, en attirant et stimulant